Sur « Naissance de l’invisible »

BANCQUARD

La lecture de Marie-Claire Bancquard 

Extraits de l’article sur Naissance de l’invisible paru dans Europe en janvier  1999

Si toute poésie est un « exercice spirituel », la poésie spirituelle des croyants semble spécifique, et beaucoup pensent qu’elle ne les concernent pas. Retraçant une aventure intérieure et une expérience du monde, elle peut cependant entraîner n’importe quel lecteur. Encore faut-il qu’elle se reconnaisse et comme expérience humaine et comme écriture, ce qui est le cas de la poésie de Gérard Pfister et de Jacqueline Frédéric Frié. […]

On ne saurait imaginer une écriture plus dissemblable de la sienne [celle de J. Frédéric Frié] que celle du recueil de Gérard Pfister, « poète de la métamorphose spirituelle au sein du monde », comme l’écrit Roger Munier dans sa préface. Il met en œuvre deux voix qui dialoguent, l’une de doute et de douleur, l’autre de transmutation en fraîcheur d’enfance : c’est un texte éminemment théâtralisable, pourvu que I’on mette une grande économie de moyens, comme on l’a fait à la Maison de la Poésie.

Les différentes parties du texte, «le mur », « l’enfant », « l’Ange », « l’ami », « la parole », retracent une expérience née de la recherche d’une seconde naissance dans la beauté, recherche occultée par les « remparts d’absence » que nous avons bâtis en nous attachant aux choses extérieures du monde. C’est au fond de notre nuit, si nous savions nous donner à elle, que nous trouverions l’illumination, la transparence, la vraie joie des choses.

Traducteur de Boehme, grand lecteur des mystiques rhénans, Gérard Pfister réussit à faire saisir cette démarche difficile contre les mirages du monde vers le « baiser de feu ». Tout d’abord en évoquant des attitudes très simple, parmi lesquels le rire léger de l’enfance qui ne s’en laisse pas conter occupe une place éminente. Ensuite en adoptant une progression par reprises et creusement des thèmes. juste à l’inverse des «exclamations » de Jacqueline Frédéric Frié.

Il y a du baroque dans ce procédé, tout comme dans la manière de présenter le monde comme un pur théâtre. Une méditation sur l’écriture est faufilée dans tout le texte : éviter l’aliénation du langage ordinaire, accepter que les mots soient « brisés, cassés », pour mieux naître au chant. Naissance de l’invisible est un élan vers un accroissrment possible de notre vie, que développera le tout prochain recueil du poète Blasons du corps limpide de l’instant. Se référant à Guillevic comme à Bernard de Clairvaux ce recueil lui aussi s’adresse à tout amoureux de bonne poésie, bien loin des sectarismes comme des fadeurs édifiantes.