(XIVe s.)
Voici le livre d’un chevalier, d’un allemand inconnu, porte-parole plutôt que porte-glaive, le livre d’un « ami de Dieu », « sage, raisonnable, juste et sincère », qui est à la mystique spéculative ce que l’Imitation de Jésus-Christ est à la dévotion. Un livre du XIVe siècle, qui eut Martin Luther pour premier « éditeur » et qui, depuis 1516, n’a jamais quitté la lumière.
De son auteur, on ne sait rien sinon ce qu’en dit l’épigraphe du texte : « Le Dieu tout-puissant et éternel a écrit ce petit livre par un homme sage, raisonnable, juste et sincère, son ami, qui fut un temps chevalier teutonique,prêtre et custode, au monastère des chevaliers teutoniques de Francfort. »
« Bis ritter » : sois chevalier ! Tel était le vœu formé par Suso dans une sorte d’anticipation allègre des épreuves et des manques, des tourments et des échecs d’une vie douloureusement empêchée. L’époque était à la guerre. Et au combat chrétien.
La rencontre d’un aventûrer (terme classique des romans de chevalerie d’Hartmann von der Aue ou de Wolfram von Eschenbach), « qui lui explique ce que sont joutes et tournois, et les durs combats que doit subir sans montrer peur ou défaillance celui qui aspire à l’honneur et à l’anneau » (Vita, chap. XLIV) ; une méditation sur Job 7, 1, culminant dans la vision d’un ange qui passe au « Serviteur » les vêtements de chevalier, tout cela semblait trahir un vrai désir de bataille : tout cela, cependant, était déjà préfiguré dans le Dit n° 24 attribué à Maître Eckhart.
Tel est le ton de l’Anonyme de Francfort, celui tout à la fois d ’un chevalier et d’un moine, marqué par une rigueur morale et une élévation spirituelle qui font d e son écrit l’un des sommets de la mystique rhénane.
OUVRAGES PUBLIÉS AUX ÉDITIONS ARFUYEN