(1883 – 1940)
René Schickele est né en 1883 à Obernai, en Alsace allemande (annexée par le nouveau Reich après la guerre franco-allemande de 1870-1871). La maison paternelle se trouve à Mutzig, où les Schickele, depuis la fin du XVIIe siècle, cultivaient la vigne. Quant à sa mère, elle était francophone, originaire du Territoire de Belfort.
Par la force de l’histoire, sa langue d’écrivain allait être l’allemand, langue des premières lectures et de l’école. Mais il a rappelé aussi son lien profond avec l’allemand par le fait du dialecte alémanique et de l’ascendance paternelle. Ainsi Schickele est devenu un écrivain allemand, écrivain de l’opposition à l’Allemagne wilhelminienne, conservatrice et militariste.
Dès 1901, avec quelques amis, il fonde à Strasbourg la revue culturelle Der Stürmer, contestataire, provocatrice. Très lié au jeune Ernst Stadler notamment, ils formulent ensemble l’idée d’une « alsacianité de l’esprit » qui implique la vocation médiatrice de l’Alsace entre la France et l’Allemagne, dans une perspective européenne.
Schickele allait réussir pourtant, les années suivantes, à s’imposer sur la scène littéraire d’avant-garde, à Berlin, sous le signe de la montée de l’expressionnisme. En 1909, il est journaliste à Paris, fortement impressionné par le socialisme pacifiste et la personnalité de Jaurès.
En 1911, il est de retour à Strasbourg : rédacteur en chef du journal libéral Neue Straßburger Zeitung, il mène la lutte pour l’autonomie alsacienne dans un processus de démocratisation. Strasbourg, Berlin, Paris : ces trois villes constituent alors de façon significative le triple centre de sa vie et de son activité.
Survient l’épreuve déchirante de la Première Guerre mondiale. Écartelé entre la France et l’Allemagne, il va se faire le défenseur de l’éthique de la non-violence. Directeur de la revue expressionniste Die weißen Blätter, il se retire en Suisse et transforme peu à peu la revue en un organe de l’internationale pacifiste.
En novembre 1918, il est de retour à Berlin, espérant pouvoir contribuer à la réalisation de son idéal socialiste et pacifiste. L’échec de cette Révolution allemande brise en lui le ressort de l’action et l’éloigne de l’engagement politique.
Il renaît au contact du paysage alémanique, à Badenweiler, où il s’installe en 1922, « citoyen français und deutscher Dichter », comme il l’écrit alors dans une notice autobiographique. Il éprouve intensément l’unité du paysage alémanique.
Pourquoi n’est-il pas rentré en Alsace redevenue française ? Écrivain de langue allemande, il est lié à la vie littéraire allemande et aux éditeurs, mais il faut rappeler aussi qu’il était alors « mal vu » dans l’Alsace patriotique d’après 1918, qu’il se sentait moralement banni.
Sa grande préoccupation reste la réconciliation franco-allemande (comme en témoignent ses essais, notamment le recueil Die Grenze, et la trilogie romanesque Das Erbe am Rhein), l’idée européenne. Malgré sa nationalité française, il est élu à l’Académie allemande de Berlin, avec Thomas et Heinrich Mann et d’autres grands noms de la littérature allemande de l’époque.
Mais l’histoire, une fois de plus, intervient dans sa vie : attaqué par la presse nazie en tant que « pacifiste » (ancien directeur de la revue Die weißen Blätter), il reconnaît les signes du mal, de la violence totalitaire, de l’ivresse collective, et il s’établit dès l’automne 1932 en Provence, à Sanary-sur-mer, à Nice, enfin à Vence, précédant la longue file des écrivains allemands qui, à partir de 1933, devaient prendre le chemin de l’exil.
Tandis que ses livres sont interdits en Allemagne, il continue d’écrire, dans les pires difficultés, en publiant chez les éditeurs de cette littérature allemande de l’exil. Et voici sa dernière tentative d’écrivain, un essai autobiographique au titre significatif, Le Retour : retour à la langue de sa mère, aux origines françaises, à l’enfance.
Mais il ne se fait pas d’illusions sur sa fortune littéraire en France : « Je ne suis pas fait pour la cuisine littéraire comme elle se pratique en France, c’est-à-dire à Paris. Il y a bien quelques bonnets qui me connaissent et même me jugent à ma valeur. Mais pour eux je suis le boche qui n’a pas voulu de sa patrie en 1918. »
Il meurt à Vence, le 31 janvier 1940. En 1956, sa veuve fera ramener les cendres en Alémanie, au cimetière de Lipburg près de Badenweiler où le poète avait formulé le vœu de reposer.
Son œuvre a été distinguée par le Prix Nathan Katz du patrimoine 2009 pour la traduction de Himmlische Landschaft par Irène Kuhn et Maryse Staiber. Elle l’a été à nouveau dix ans plus tard, en 2019, pour la traduction Wir wollen nicht sterben par Charles Fichter.