Le Repos dans la lumière

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Textes choisis et présentés par Jean Mambrino

Lorsque Chateaubriand publie pour la première fois en 1838, quatorze ans après la mort de Joubert, des extraits de ses Carnets, il n’hésite pas à proclamer « la puissance de son génie ». Bien d’autres auront le même jugement. Pourtant, aujourd’hui encore, cette œuvre reste méconnue. Le but du présent ouvrage est de la faire découvrir dans sa dimension profonde, d’ordre proprement spirituel.

Le projet de Joubert est, en effet, d’une immense ambition. Le titre prévu dit à lui seul son ampleur : « Je l’intitulerai : De l’Homme ». Joubert définit le style qui sera le sien : «Mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot. » Quant à sa pensée, une phrase la résume : « Pour créer le monde un grain de matière a suffi, car tout ce que nous voyons, cette masse qui nous effraye, n’est rien qu’un grain que l’éternel a mis en œuvre. (…) Mais ce grain de matière où était-il ? Il était dans le sein de Dieu, comme il y est présentement. »

Nourrie d’une expérience intérieure riche et subtile, la pensée de Joubert est naturellement tournée vers la méditation spirituelle : « Je me disais autrefois, si à l’extrémité du monde matériel on étendait son bras, où aurait-on sa main ? Dans Dieu ! Eh bien ! nous y sommes. »

Au seuil des temps modernes, ce grand méditant avait déjà entrevu le chaos dans lequel nous sommes ballottés, lorsqu’il évoque « ces temps où les événements n’ont pas de liaison connue, n’ont pas une juste étendue, mais sont rapides, sont subits, et se croisent comme des éclairs, et se chassent comme des flots ».

Pour arriver à l’existence véritable, Joubert nous appelle à rechercher « le repos dans la lumière ». Car nous baignons de toutes parts dans l’éternel : « L’éternité, nous y touchons en arrière et en avant de nous. » Entre l’obscurité et la lumière, entre notre âme et Dieu, le passage se fait par une boucle admirable : « La lumière qui vient de l’âme peut seule éclairer notre esprit. Mais la lumière qui vient de Dieu peut seule éclairer l’âme. » Éclairement aussi naturel qu’intérieur : « On sent Dieu avec l’âme, comme on sent l’air avec le corps. » Pour autant, Joubert se garde de tout sentimentalisme mystique.

Il souhaite laisser sa part à la pensée, part essentielle : « Penser à Dieu, souligne-t-il, est une action. » De la pensée, rien ne se perd : « Où vont les pensées ? Dans la mémoire de Dieu. » Dieu est lui-même notre suprême mémoire : « Dieu est le lieu où je ne me souviens plus du reste. »

Joubert se souvient des confidences divines faites aux prophètes (Isaïe, Osée…), les renouvelle et presque les dépasse : « C’est en effet de la volonté de Dieu que les affligés se consolent, et lorsqu’ils veulent s’abandonner à leurs chagrins, il les console malgré eux. » L’amour, qui dépouille finalement de tout, rend l’âme infiniment légère et infinie. «Quand tu auras perdu ton unique bien, il te reste encore le bien que tu peux faire aux autres. »

Coll. Les Carnets spirituels – 2007 – ISBN 978-2-845-90100-1 –14 €