Poèmes, aphorismes, fragments en prose, conférences et discours
Traduit de l’allemand et présenté par Jean-Yves Masson et Fedora Wesseler – BILINGUE
Si l’œuvre de l’écrivain autrichien Beer-Hofmann (1866-1945) est de nos jours peu connue en Europe, c’est qu’il partage le sort de nombre d’écrivains juifs qui, forcés de s’exiler pendant le Troisième Reich, furent oubliés dans leur pays et sont aujourd’hui plus connus aux États-Unis qu’en Europe. Pourtant, avec ses amis Schnitzler et Hofmannsthal, Beer-Hofmann fut l’une des grandes figures de la « Jeune Vienne » qui incarna la « modernité viennoise ». Avec le grand metteur en scène Max Reinhardt, il eut une très longue et fructueuse collaboration et entretint une riche correspondance avec les plus grands esprits de son temps, comme Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Martin Buber, Leo Perutz ou Thornton Wilder.
Pour mesurer son aura, il faut évoquer l’événement que fut la parution de la « Berceuse pour Miryam ». Rilke écrit ce que fut succès de ce poème : « Si j’ai admiré au plus haut point la “Berceuse” dès la première lecture, il me fut également permis (car je la savais par cœur) de lui gagner d’autres admirateurs inconditionnels. Au cours de la demi-année que je passai en Suède, les choses allèrent si loin que l’on envoyait une voiture au domaine où j’habitais comme on envoie chercher le médecin, simplement pour que je récite ces vers à des inconnus qui avaient entendu parler de l’extraordinaire beauté du poème ! » (Lettre du 25 avril 1922). Grâce à Jean-Yves Masson, grand spécialiste de l’Âge d’or de la littérature viennoise, et à Fedora Wesseler, le destin émouvant et l’écriture singulière de Richard Beer-Hofmann peuvent enfin être découverts en français.
Le choix esthétique du fragment, de la forme courte ou inachevée, reflète l’éclatement du monde dont Beer-Hofmann se sentait le témoin. Il est l’un des derniers représentants de toute une classe de ces Européens qui certes avaient dans chaque pays des caractéristiques individuelles, mais dont les idées circulaient par-delà les frontières des États et des langues, avec la facilité du Weltbürger, du citoyen du monde. La disparition de ces « Européens de l’esprit » a sans doute été l’une des plus graves difficultés rencontrées par l’œuvre de Beer-Hofmann après la Seconde Guerre mondiale, qui explique qu’elle soit passée à l’arrière-plan de l’histoire littéraire alors qu’elle mérite de figurer parmi les œuvres essentielles.
S’y ajoute la difficulté de classer une telle œuvre : Beer-Hofmann est à la fois dramaturge, poète, romancier, essayiste. L’écrivain est pour lui « maître et serviteur des ombres », qu’il nourrit de son propre sang pour les remplir de vie : poésie, écriture dramatique, réflexion critique, écriture autobiographique ou narrative trouvent là leur point d’intime convergence.
C’est pourquoi le présent volume comporte, en complément des poèmes dont c’est ici la première traduction française intégrale, les notes fragmentaires et aphorismes qui permettent de les saisir dans leur juste lumière : « Le poète, écrit Beer-Hofmann, donne un nom à une partie de l’éternel flux sans nom, il le détache du temps infini et de l’espace infini pour le poser dans la sphère de cristal close et flottante d’une existence qu’il doit créer. »
Coll. Neige – 150 pages – 2014 – ISBN 978-2-845-90205-3 – 12 €