Plus loin dans l’inachevé

suivi de Journal des bords

Forte de quelque 30 ouvrages publiés depuis près de 40 ans, l’œuvre de Pierre Dhainaut, inaugurée avec Le poème commencé (Mercure de France, 1969) apparaît de plus en plus comme l’une des œuvres majeures de la poésie française contemporaine. L’anthologie parue au Mercure de France en 1996, Dans la lumière inachevée, le colloque Pierre Dhainaut à la Sorbonne en 2007 et la monographie de Sabine Dewulf en 2008 (éd. des Vanneaux) en sont la confirmation.

Plus loin dans l’inachevé est publié à l’occasion du Prix Jean Arp de Littérature Francophone qui lui a été décerné à Strasbourg en novembre 2009. Ce Prix lui a été remis dans le cadre des 5es Rencontres Européennes de Littérature les 12-13 mars 2010.

Conçu comme particulièrement représentatif de son œuvre, ce nouveau recueil de Pierre Dhainaut comporte trois grandes parties : Perpétuelle éphéméride, Rituel de l’imprévoyance et À toi ce qui commence. Il est suivi d’un texte en prose : Journal des bords.

«Perpétuelle éphéméride» est un ensemble introductif très court, composé de 5 poèmes de trois tercets. Dès les trois premiers vers, on reconnaît la voix de Dhainaut, calme, claire, inaugurale : « Si fraîche, immense, c’est déjà l’aube / quand le vent afflue dans la moindre fente / jusqu’à secouer les parois. » Aucun pathos, aucun lyrisme facile. Une simple présence. Et le dernier tercet de cet ensemble résume le propos : « On peut se taire à l’ombre de ses ailes / tremblante, éparse, tremblante et libre / de se recueillir, de naître à nouveau. » Une écriture fragile, frémissante. À l’écoute du monde, dans une position de totale réceptivité, d’effacement.

Rituel de l’imprévoyance, le deuxième « mouvement » du recueil voudrait-on dire tant cette écriture est naturellement musicale, comporte dix séquences : Nuit double, Actes de passage, Entrouvertures, Fragments d’insomnie, Un chemin d’arbres, Seuils pour l’hiver, Sur la foi des sables, Oiseaux d’ici, Le bienvenu et Syllabes de souffles.

À toi ce qui commence est un ensemble de fragments comme Pierre Dhainaut aime à les faire alterner avec les poèmes. Ici le temps se resserre, la sensation s’aiguise, l’intuition se livre nue : « Poussière, pollen, entrer d’un mot, / entrer en connivence. » Le poème est toujours un travail d’approche pour cette entrée en échange avec le monde, cette introduction dans l’Ouvert.

Le «Journal des bords» nous ouvre le plus intime de l’atelier de l’écrivain : le sens même d’une esthétique, qui est tout aussi bien une éthique : « Écouter, écouter jusqu’à ce que nous ne puissions plus dire “le silence” , jusqu’à ce que le silence soit aussi sensible que la rumeur des vagues. » « L’écriture, la seule tolérable, celle qui veut tout, celle qui admet qu’elle n’est pas tout, comme la vie, la seule acceptable, lorsqu’elle comprend que chaque jour elle doit renaître, vaincre les puissances d’inertie, se rendre moins avare. Ainsi l’écriture et la vie sont-elles solidaires, elles s’entraident, elles se tournent vers le même horizon. »

Quel horizon ? Là encore, par humilité, par souci de justesse, Dhainaut préfère laisser le mot en suspens : « Le poème dit l’arbre ou la vague, et ce à quoi il nous ouvre, nous n’avons plus de noms pour le désigner. »

♦♦♦    Lire les articles de Lucien Wasselin et Georges Guillain

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2010 – ISBN 978-2-845-90147-6 – 12 €