Sur L’aile pourpre

matricule

La lecture de Richard Blin

Extraits d’un article sur L’aile pourpre par dans Le Matricule des Anges en mai 2004 

 

« Crucifié sur un cristal » : c’est ainsi que Nicolas Dieterlé qui s’est suicidé à 37 ans définit le poète. Une voix nue, prenante, à découvrir.

Premier texte publié d’un écrivain qui n’a jamais souhaité le faire de son vivant, L’Aile pourpre de Nicolas Dieterlé (1963-2000) est un florilège d’instants, le journal d’une âme.

C’est le parcours initiatique d’un homme qui las de vivre dans la banlieue de lui-même, «dans cette périphérie ingrate, coupée du fleuve de la vie, où les êtres et les choses ressemblent à des ombres fanées » a choisi de s’installer dans le Var, pour y redéployer ses « ailes de lumière », et renouer avec l’espace de son désir. Le regard comme littéralement lavé au contact d’une nature dont chaque manifestation le confronte à l’intérieur secret des choses, il va consigner (de mars à septembre 2000) ses rencontres avec l’être du monde ou tout au moins quelques-uns de ses multiples avatars.

Cristallisations d’instants, d’intuitions, d’images, de rêves, ses notations disent « l’alléluia du maintenant », la façon dont l’eau, la lumière, le jour résonnent en lui, se prolongent en palpitations brèves ou en nourriture spirituelle. Elles témoignent de la métamorphose incessante des arbres, des fleurs, des montagnes, qui « ne sont opaques qu’en apparence : en leur sein s’agite l’or aigu de la joie ». Guidé par l’émotion et une sorte d’intelligence instinctive des phénomènes, il regarde, écoute, s’imprègne d’un monde qui n’est qu’attrait, fascination, transparence faite prisme, porte ouverte sur la « demeure nuptiale de la joie » et de son « irréfrénable lumière ». (…)

Persuadé que l’éphémère englobe l’immense et l’éternel, que la beauté poignante du monde ne peut qu’éveiller à un absolu derrière lequel se profile l’ombre d’une autre présence (le dieu de « la joie communiante » ?), c’est en poète, toujours, qu’il suggère, à défaut de pouvoir les rendre visibles, les forces qui justement ne le sont pas. En poète de la nudité, en poète du silence, de ce silence qui veut traduire ce qui échappe à toute fable, et que la langue dit « ineffable ». « Le silence est l’offrande la mieux accordée à la plénitude de la beauté ».

Une poésie qui, pour être « un chuchotement qui approfondit le silence », « un feu dont le rayonnement est une lame pénétrante », n’en est pas moins nourrie par le rêve, quasi alchimique, de transmuter ce qui n’est qu’espoir enfoui en certitude, car à l’instar de Novalis (à la biographie duquel il a travaillé jusqu’à sa mort), Nicolas Dieterlé est convaincu que l’homme n’est pas seul à parler, que « l’univers aussi parle tout parle des langues infinies », du prunier en fleurs au vol du goéland.

« J’ai parfois l’impression d’être un vase trop frêle pour la plénitude qui cherche à m’habiter», écrira-t-il. Prémonition ou lucidité ? On sait qu’il est des élans capables de renverser l’espérance en désespoir… Toujours est-il que celui qui se sentait parfois poursuivi par « les chiens de l’anxiété », se donnera la mort le 25 septembre 2000, laissant derrière lui une œuvre picturale et de nombreux écrits dont l’essentiel est sans doute à découvrir.