Sur « Menus propos »

charmet

La lecture de Bruno Charmet

Extraits d’un article sur Menus propos paru dans Sens en janvier 2011

Deux livres récents rassemblant des textes du Cardinal Jules-Géraud Saliège (1870-1956) ainsi que la publication d’un Colloque viennent opportunément rappeler le courage du Prélat en pleine Deuxième Guerre mondiale et montrer l’actualité de son message en restituant l’ensemble de son parcours humain, intellectuel et spirituel.Retour ligne manuel

Sous le titre La croix du Christ contre la croix gammée, les éditeurs ont réuni, par ordre chronologique, un premier volume de textes de l’Archevêque de Toulouse allant du 19 février 1939 au 7 octobre 1945. Sous-titré Discours de guerre du Cardinal Saliège, ce livre reprend une grande partie des articles, réflexions brèves et vives, jetées sur le papier par l’Archevêque, dans son bulletin diocé­sain, la Semaine catholique de Toulouse.Retour ligne manuel

La première impression qui se dégage de toutes ces missives, c’est la précocité du combat du Cardinal contre l’antisémitisme, son extrême lucidité qui n’a pas attendu le 23 août 1942 pour s’exprimer, date de sa protestation fameuse contre le sort inique fait aux Juifs (« les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes »). Parmi beaucoup de textes témoignant en ce sens, citons une intervention bien antérieure à 1939 puisque prononcée dès le 12 avril 1933, reproduite en annexe de son autre livre ici également recensé, Menus propos ; il s’agit d’une allocution du Cardinal Saliège prononcée lors d’une réunion publique de protestation contre l’antisémitisme tenue au Théâtre du Capitole, organisée par des intel­lectuels, en présence, notamment, du vice-président du Conseil général, doyen de la Faculté de Droit, du maire de Toulouse, du rabbin, du pasteur et du recteur de l’Institut catholique : « Non seulement je me sens frappé par les coups qui tombent sur les persécutés, mais encore mes tressaillements sont d’autant plus douloureux que se trouve méconnu et bafoué, non pas un idéal confus, une idée froide et abstraite, mais cet être vivant, personnel, dont le souffle a traversé et porte toute l’histoire d’Israël : Jéhovah, celui que j’appelle le bon Dieu, le Juste par excellence. Je ne saurais oublier que l’arbre de Jessé a fleuri en Israël et y a donné son fruit. La Vierge, le Christ, les premiers disciples étaient de race juive. Comment voulez-vous que je ne me sente pas lié à Israël comme la branche au tronc qui l’a portée !… Le catholicisme ne peut accepter que l’appartenance à une race déterminée situe les hommes dans des droits inférieurs. Il proclame l’égalité essentielle entre toutes les races et tous les individus » (Menus propos, Arfuyen, p. 149 […]

Les éditions Arfuyen ont eu la bonne idée de recueillir quelques Menus propos du Cardinal Saliège, habitude qu’il avait prise dès 1937 à travers la Semaine religieuse de Toulouse et qui consistait à émettre quelques vérités bien senties en direction de ses diocésains, et plus largement du monde environnant. On retrouve le même ton tranchant, le même style lapidaire, ne biaisant jamais lorsqu’il faut défendre et rappeler les vérités fondamentales de la foi chrétienne, de l’éthique en politique, etc. :Retour ligne manuel

« Fermer son âme à toute tentative d’esclavage. Garder jalousement la liberté des enfants de Dieu, des fils de lumière » (12 novembre 1939) (p. 71). « Qui n’aime pas, ne comprend pas. C’est l’amour qui donne le sens du divin et de l’humain » (12 mai 1940) (p. 80). « La Bible ne raconte-t-elle pas l’histoire du destin de l’homme ? Plus que jamais elle est d’actualité. Retour, d’une nécessité urgente, à la Bible » (9 juin 1940) (p. 81).

En tous ces écrits de guerre, la référence centrale à la Bible est partout présente et des citations bibliques parsèment ces feuilles éparses. Aussi n’est-il pas étonnant qu’après le deuxième conflit mondial, pour le Cardinal Saliège, le combat continue. Il est important de rappeler à cet égard d’autres écrits du Cardinal Saliège qui ne sont pas mentionnés dans ces trois ouvrages et qui méritent vraiment d’être signalés.Retour ligne manuel

Tout d’abord, le soutien, sous forme de préface, qu’il apporta à la brochure du Père Paul Démann, La catéchèse chrétienne et le peuple de la Bible [1952], travail décisif au sortir de la guerre, et qui demeure toujours un livre-référence pour combattre l’antijudaïsme chrétien dans les manuels catéchétiques.[…] Autre témoignage important à signaler en ces années d’après guerre, d’autant plus que la publication dont nous allons parler vient d’être rééditée : la préface du Cardinal Saliège au livre de Jean Pélissier consacré aux Prêtres et religieux victimes des nazis. […]

La communauté juive n’est, bien sûr, nullement restée insensible à autant de marques de courage et de solidarité à son égard. René-Samuel Sirat a maintes fois évoqué un souvenir qu’il vécut à Toulouse en tant que jeune rabbin au début des années 50. Il fut, en effet, dans la délégation qui remit au vieil Archevêque, gravée sur une plaquette d’or en forme de Tables de la Loi, sa magnifique Lettre pastorale de 1942 en défense des Juifs. « Je crois, ajoutait-il, que cette manifes­tation extrêmement émouvante lui a causé l’une des grandes joies des dernières années de sa vie. » […]

Jean-Marie Lustiger, jeune homme également à l’époque, se trouvait à Toulouse, Place du Capitole, le 17 septembre 1944 (jour de ses dix-huit ans). Il témoignera beaucoup plus tard de ce qu’il avait vécu ce jour-là : « J’ai pris part au grand rassemblement des catholiques de Toulouse, C’est là que j’ai vu pour la première et dernière fois le Cardinal Saliège. J’ai encore dans l’oreille les accents grandioses du Père Bergougnoux (sic). Sa voix remplissait la place tandis qu’il expliquait l’espérance que représentaient pour les chrétiens ces événements décisifs de la Libération de la France. » Ce que le Cardinal Lustiger ne précise pas ici, c’est que Mgr Saliège, qu’une paralysie croissante rendit quasiment infirme, ne pouvait s’exprimer en public et qu’un prêtre lisait ses propres discours. On mesurera, là encore, le courage et la force de conviction que cela représentait pour lui, si diminué physiquement. […]