La lecture de Veneranda Paladino
Extraits d’un article sur les Haïkus alsaciens paru dans les DNA en avril 2017
Distinguée par le Prix Nathan Katz du patrimoine, l’Alsacienne Lina Ritter laisse une œuvre littéraire considérable marquée au sceau du courage, de la liberté et de la fraternité. Ses haïkus alsaciens traduits par Jean-Paul Gunsett paraissent chez Arfuyen.
Ses pensées, ses songes, et son œuvre littéraire multiforme ont toujours traversé le Rhin. Au plus près de l’une et l’autre rive du fleuve, Lina Ritter a forgé un caractère précoce, incarnant au XXe siècle et avec exemplarité l’humanisme rhénan.
C’est à une véritable entreprise de réhabilitation que s’est attelé le Prix Nathan Katz du patrimoine. Grâce à la bourse de traduction adossée au prix, Jean-Paul Gunsett a traduit en français les Haïkus alsaciens de son amie Lina Ritter. Ses souvenirs de Lina sont recueillis par Jean-Paul Sorg, qui préface également la remarquable édition bilingue que viennent de publier les éditions Arfuyen d’Anne et Gérard Pfister. Lina Ritter est à ce jour la seule femme célébrée par ce prix patrimonial attribué depuis 2004.
Qui se souvient, en effet, de cette femme de lettres, née en 1888 dans le Sud de l’Alsace, à Village-Neuf ? Au bord du Rhin, la fille de maraîchers, orpheline de père dès ses trois ans, s’imprègne d’une nature singulière, des poèmes de Hebbel, et déploie une curiosité et une soif de connaissances insatiables.
Elle enrichit sa culture première populaire d’une haute formation universitaire acquise en auditrice libre à l’université de Bâle. Latin, philosophie, cours de littérature, d’histoire, d’histoire de l’art… Tout l’intéresse et va nourrir une œuvre plurielle engagée dès l’adolescence. Son inspiration régionale se double d’une grande ouverture européenne et mondiale, à l’instar du « chantre du Sundgau ». Elle disparaît d’ailleurs la même année que Nathan Katz, en 1981.
Lina Ritter écrit en dialecte alémanique, en alsacien, en allemand. Alterne avec semblable aisance pièces de théâtre, drames historiques populaires, articles poèmes, vastes romans historiques dédiés à Martin Schongauer, au pape « alsacien » Léon IX, des causeries radiophoniques de 1947 à 1952 à Radio Strasbourg, des haïkus.
Elle se fait connaître par sa pièce en alémanique Peter von Hagebach. Dès 1911, on joue ses Comtes de Ferette, à Bâle puis à Colmar. Quand elle se marie à 31 ans, avec Paul Potyka à Lörrach, à seulement cinq kilomètres de son village natal mais de l’autre côté du Rhin, et de la frontière, Lina Ritter est connue de Bâle à Strasbourg, et plus loin même, relève Jean-Paul Sorg.
Emportés par les tempêtes de l’histoire, Lina Ritter et Paul Potyka n’abdiquent pas leurs valeurs démocratiques et humanistes. À la suite de la prise du pouvoir par Hitler, Paul est destitué de ses fonctions de maire adjoint à Baden Baden sur un simple coup de fil du sinistre Gauleiter Wagner. Le couple et leurs deux filles, Herrade et Odile (hommage à l’Alsace), se retirent à Fribourg-en-Brisgau. Paul Potyka devient l’avocat des victimes du nazisme, dont plusieurs Alsaciens.
Dans l’un de ses haïkus le plus souvent cités, Lina convoie pareillement un message de fraternité : « Mes enfants, aimez-vous les uns et les autres ». On peut lire dans le regard de Lina son intensité, une beauté chaleureuse ouverte. « Il y a une intelligence, beaucoup d’humour et de l’humilité dans ses écrits, note Gérard Pfister, on dit qu’elle avait une aura à nulle autre pareille, hormis Albert Schweitzer. Nous ne faisons pas d’archéologie, c’est un patrimoine vivant mais caché que célèbre ce Prix. Il faut l’aborder avec lucidité et admiration sans céder à l’idéalisation d’un passé qui n’a pas existé ou verser dans l’identitaire ».
Présentés sous forme d’almanach courant sur les quatre saisons, les Haïkus alsaciens de Lina Ritter s’offrent « à qui voudra un pour chaque jour ». Présente à l’invisible, la « catholique pieuse et réfléchie » concentre dans ses haïkus, œuvre tardive de la vieillesse, un pouvoir d’évocation puissant. Instantanés dans le flux, ils saisissent dans une forme poétique souple et libre le monde et le genre humain. « Un jour ils chantent l’Hosanna, le lendemain ils le mettent en croix, maintenant comme autrefois… »
On le voit, hier comme aujourd’hui, Lina Ritter nourrit les âmes et continue de former les consciences.