Sur « La Ballade des hommes-nuages »

La lecture d’Irène Gayraud

Extraits d’un article paru dans Place de la Sorbonne, janvier 2023

Le dernier recueil de Michèle Finck, La Ballade des hommes-nuages, repose sur une expérience autobiographique non dissimulée : « ceci est mon journal-poème ». Amenée avec une grande délicatesse de voix, cette expérience autobiographique douloureuse s’entremêle à une réflexion sur la nature et les pouvoirs de la poésie, ainsi qu’à un poignant appel à la compassion – au sens étymologique du terme (souffrir avec), mais aussi au sens d’une prise en compte aimante de la souffrance de l’autre – pour les êtres qui échappent aux lois de la raison, les êtres dits « fous », ces « hommes-nuages ». […]

Tournoyant autour de deux personnages, l’un féminin, l’autre masculin et prénommé « Om », ce recueil est avant tout un grand livre d’amour, un grand chant d’amour crié par la voix de la poétesse pour « Om ». Un amour tellement absolu qu’il fait face à tout, qu’il tient bon même devant l’enfer des hôpitaux, même devant la souffrance terrible de la folie. […]

Devant ce « visage outre-humain », l’enfant éprouve pour la première fois une « compassion qui [la] dépasse », et qui nourrira sa vie. Car ce livre est aussi une relecture à la fois grave et tendre de divers moments marquants de l’enfance à l’aune de la relation vécue adulte avec l’aimé fou : le lien profond et compassionnel avec la folie pouvait se lire, comme des signes d’un destin écrit, dans les événements et les rêves de l’enfance. […]

Cette recherche du « mot qui manque », qui traverse tout le livre, n’est pas simplement une image ou une métaphore du travail poétique : elle est véritablement l’espoir de sauver l’aimé grâce à ce mot. Comme si la croyance précaire dans ce mot manquant à l’aura magique rejoignait l’univers des contes, qui irrigue tout le recueil, qu’il s’agisse des contes (ou des rêves) de l’enfance, ou de cet Oz merveilleux qui semble le point central vers lequel Om est tendu tout entier.  […]

Chaque poème de ce recueil, et en particulier les poèmes adressés à Om, œuvrent pour maintenir avec lui – envers et contre tout – le dialogue (au-delà du simple téléphone, souvent utilisé dans la relation qui nous est contée). Peut-être que ce dialogue maintenu avec Om par la poésie, poésie qui ne cesse de se pencher « au-dessus de chaque lit de détresse », est-il le véritable objet du livre, porté par une langue percutante (pas un mot de trop), directe (refus des tropes), sensible (la simplicité, l’absence d’images font que l’émotion affleure et déborde), et laissant une large place au silence et aux blancs.

En fin de livre, les poèmes de « Suite nuages » ont dans leur cisèlement la grâce des haïkus : ils flottent sur la page comme des nuages dans un ciel, et ils émeuvent aussi car on sent qu’ils sont une réponse au travail de vidéaste d’Om, qui ne cesse de filmer les nuages partout, même depuis sa chambre d’hôpital : dire les nuages comme lui les filme est une manière de le rejoindre, quelque part au-dessus du sol.