Dès 1608 paraît à Paris par les soins de Jean de Saint-François une nouvelle traduction de l’œuvre de Denys qui contribue beaucoup à sa vulgarisation ; c’est cette traduction que lira Marie de l’Incarnation, au début des années 1620.
Grande aussi est l’influence du capucin Benoît de Canfield (1562-1610) dont la pensée s’inscrit dans la droite ligne de la Théologie mystique. On sait, par ailleurs, que le cardinal de Bérulle lui-même est un grand lecteur de Denys et que son œuvre en est largement tributaire.
Nul mieux que Louis Chardon ne représente la vitalité de l’œuvre de l’Aréopagite au Grand Siècle français. « Saint Paul et le Pseudo-Denys, souligne le P. François Florand, sont les grands inspirateurs de Chardon ».
Longtemps les lecteurs des écrits aréopagitiques s’en sont remis avec confiance aux indications fournies par ceux-ci. Leur auteur était donc cet Athénien qui fut converti par le discours de saint Paul devant l’Aréopage et à qui font nommément allusion les Actes des Apôtres : « Paul se retira du milieu d’eux. Quelques hommes cependant s’attachèrent à lui et embrassèrent la foi. Denys l’Aréopagite fut du nombre. Il y eut aussi une femme nommée Damaris et d’autres avec eux » (Ap 17, 33-34).
Les choses se compliquèrent toutefois singulièrement lorsqu’on voulut confondre ce Denys des Actes des Apôtres avec le premier évêque de Paris, Denis, mort décapité sous le règne de l’empereur Dèce (249-251). L’incohérence des dates était criante. Il n’empêche : malgré le scepticisme de certains, l’assimilation des deux personnages demeura pendant des siècles.
Une autre incohérence ne manqua pas d’être soulevée par certains : si l’auteur des écrits aréopagitiques avait bien vécu au ier siècle, comment expliquer qu’il n’en soit fait nulle part mention dans les siècles suivants ? Ce n’est qu’au vie siècle que l’on en trouve les premières citations, dans des textes de Sévère d’Antioche et de son disciple, André de Césarée.
À la fin de ce même siècle, l’œuvre apparaît subitement au grand jour lorsque le pape saint Grégoire le Grand, dans sa 34e homélie sur les Évangiles, prononcée à Rome en 593, prend argument du livre des Hiérarchies célestes, de Denys. Et on a la preuve que, cinquante ans plus tard, la bibliothèque des papes à Rome possède un manuscrit grec de l’ensemble des écrits de l’Aréopagite. Dès lors le rayonnement de ces textes ne cesse de se développer. En 827, l’empereur d’Orient envoie à Louis le Débonnaire un codex grec complet des écrits de Denys. Une première traduction en est faite par Hilduin, vers 832, puis une deuxième par Jean Scot Érigène dont l’œuvre personnelle restera profondément marquée par cette découverte.
Au début du XIXe siècle pourtant, des chercheurs attirèrent l’attention sur des similitudes troublantes entre les textes de l’Aréopagite et les œuvres de Plotin et de Proclus. En 1848, l’un d’eux émet l’hypothèse que l’Aréopagite est « un élève, peut-être un ami de Proclus, aussi fervent dans sa croyance religieuse que fidèle à ses doctrines philosophiques ».
Des personnalités aussi éminentes que le grand théologien Urs von Balthasar, que Maurice de Gandillac, traducteur et exégète de Denys ou Henri Saffrey, traducteur de la Théologie platonicienne de Proclus, ont examiné à leur tour ce problème de l’attribution des œuvres dyonisiennes. Ce qui est certain, c’est que les textes de Denys portent de manière indiscutable l’influence de Proclus (412-485) et qu’ils s’inscrivent clairement dans le grand débat des Ve et VIe siècles sur la double nature, divine et humaine, de la personne du Christ.
Il est remarquable que l’influence de Denys ait été chez les Pères grecs beaucoup plus diffuse et, même chez un auteur tel que Maxime le Confesseur (580-662) difficilement repérable. C’est sans doute là que se trouve l’origine du destin exceptionnel de l’œuvre de Denys dans la spiritualité d’Occident. À travers Denys, c’est toute la grande tradition des Pères grecs que les théologiens et les mystiques d’Occident découvraient, sous une forme littéraire fascinante en même temps que très pédagogique.
OUVRAGES PUBLIÉS AUX ÉDITIONS ARFUYEN