Alain Maumejean a publié son premier livre aux Éditions du Seuil en mai 1968. Il avait alors 25 ans. 40 ans plus tard, son œuvre, admirée par un éditeur aussi perspicace et raffiné que François Xavier Jaujard (Granit) reste pourtant presque entièrement à découvrir. Faut-il s’en étonner tant cette œuvre se refuse à toute facilité, à toute à toute complaisance, pour se tenir constamment, dans l’exigence la plus rigoureuse, tout au bord du vertige et du silence…
Les Éditions Arfuyen ont depuis quinze ans publié deux livres d’Alain Maumejean : Les Usages (1994) et L’inachèvement (2001). Comme elles l’ont toujours fait pour d’autres écrivains inclassables en qui elles croient profondément – comme par exemple Alain Suied ou Maximine –, elles continueront de travailler à ses côtés dans l’entreprise extrême dont il a fait sa vie et dont l’écriture forte et singulière nous semble parmi les tentatives les plus authentiques et les plus passionnantes d’aujourd’hui.
S’il fallait situer Alain Maumejean, ce serait assurément du côté de Beckett et de Blanchot, mais aussi de Cioran et de Michaux. Une écriture sans concession, qui traque l’auteur et le lecteur après lui dans les méandres de tous les mensonges consolateurs et le laisse seul et nu face au peu de lui-même : « que dire d’une telle chronique de vacuité se vouant à la plainte, quand il est cependant exclu de ne rien dire, quand de n’attendre rien ne supporte pas la malédiction de se taire… que me dire d’autre que cela seul : qu’il ne m’est pas permis de ne plus rien attendre. ce qu’il faut nommer silence, serait-ce ici ce que je ne sais pas dire alors que, pour toi, ô mon lecteur, et ce seul autre qui revient à moi-même, s’il faut que nous demeurions ensemble, c’est de retourner ensemble au silence qui est ce qu’ensemble nous disons. »
Pas de poèmes, qui seraient déjà l’acceptation d’une convention, d’une finalité. Mais une prose tâtonnante, taraudante, vrillante. Incertaine, quoique somptueuse souvent. Et d’autant plus exigeante de précision et d’élégance que sûre seulement de son incapacité foncière, de son inaptitude radicale, de son échec définitif à dire ce qui seul serait à dire. Une écriture qui n’est que l’impossibilité du silence.
Car si l’écriture ne peut rien dire, si le silence enferme à jamais ce qui seul mériterait d’être dit, au moins l’écriture peut-elle célébrer le silence, s’en faire l’écho, de la même manière qu’un mot prononcé dans le vide d’une grotte n’a d’autre sens que d’en faire entendre le vide…
Une écriture sans attente – puisque à jamais la langue est infirme à dire le secret qui dans l’écriture cherche à se dire. Une écriture cependant plus que tout nécessaire puisqu’elle engage tout l’être. Puisque ce désir de dire est notre être même : « il reste à murmurer, écrit Maumejean, que ce que nous sommes sont des mots, et que ce murmure passe le seuil de toute appréhension ».
Depuis trente ans, Alain Maumejean a choisi de vivre en rigoureux accord avec son chemin d’écriture, dans la solitude et le détachement. Ses correspondants se comptent sur les doigts d’une main. Chaque année, il leur adresse par courrier l’unique texte qu’il s’autorise à écrire, au mois de février, pour rester tout le reste de l’année dans le silence.
Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2009 – ISBN 978-2-845-90140-7 – 16,5 €