Psychopathologie du nationalisme

Texte établi, traduit et présnté par Jean-Paul Sorg.

« Lorsque les principes et les valeurs éthiques générales ne sont plus assez puissants pour réguler un sentiment comme l’amour de la patrie, écrit Albert Schweitzer, lorsque celui-ci n’est plus éclairé par la raison morale, il se met à croître et à proliférer. » 

Témoin de la désagrégation du tissu social et de la montée progressive des populismes, Schweitzer a su en analyser le processus avec une stupéfiante précision : « Dans la mesure où les autres idéaux s’effondrent, l’idéal national, seul survivant, devient l’idéal des idéaux ; dans la mesure où nous laissons se perdre les biens de la civilisation, le nationalisme paraît incarner seul ce qui en reste et suppléer ainsi à leur manque. »

Prix Nobel de la paix en 1952 (l’un des deux seuls Français depuis 1945), Schweitzer est un esprit dont l’universalité et la lucidité déroutent notre époque. Médecin et activiste humanitaire, philosophe et écrivain, concertiste et musicologue, prophète du Respect de la vie et de l’écologie, il n’est aucun des domaines qu’il a abordés où il n’ait excellé.

Mais c’est peut-être dans le domaine de l’analyse socio-politique que son génie est le plus évident. Qui a dénoncé, dès 1908, le colonialisme avec une telle clairvoyance ? Après Hiroshima, qui, aux côtés de ses amis Einstein et Russell, a dénoncé avec autant de force les armes nucléaires ? Bien avant Edgar Morin, qui a attiré l’attention sur les problèmes de civilisation ? La désagrégation du tissu social et la monté des identitarismes lui inspirent des analyses d’une fascinante actualité.

Scruter la montée des populismes à travers la grille d’analyse de Schweitzer nous permet de trouver le juste recul et la claire compréhension des processus. L’introduction de Jean-Paul Sorg, philosophe et essayiste, montre la fécondité de cette démarche. Bien avant tous les analystes des mécanismes de désagrégation à l’œuvre dans notre société, le grand-oncle de Jean-Paul Sartre avait déjà tout compris !

Coll. « La faute à Voltaire » — 2016 — 160 p. — ISBN  978-2-2845-90237-4  — 10 €

Le Tigre Absence

La Tigre Assenza

Nouvelle édition. Traduit de l’italien et présenté par Monique Baccelli. BILINGUE

Cristina Campo (1923-1977) est l’une des écrivaines italiennes qui fascine le plus. Son œuvre est brûlante d’une extraordinaire  intensité, proche en cela d’Emily Dickinson et de Simone Weil qu’elle a toutes deux contribué à faire découvrir en Italie. 

Cristina Campo déclarait qu’elle avait peu écrit mais aurait aimé avoir moins écrit encore. Deux livres posthumes ont suffi à la faire découvrir, Gli imperdonabili (1987) et La Tigre Assenza (1991). La critique s’est enthousiasmée pour cette « trappiste de la perfection », cette « fleur indéfinissable et inclassable », cette «créature de feu, violente, extrême », mais aussi « exquise et insaisissable comme une dame italienne de la Renaissance ».

Elle qui, du fait d’une grave malformation cardiaque, n’avait pu mener à bien sa scolarité, c’est avec passion qu’elle s’est nourrie des œuvres de Dickinson et Hofmansthal et a traduit des auteurs comme Mansfield, Woolf ou Zambrano. Mais c’est dans le courage et l’intransigeance d’une Simone Weil qu’elle a trouvé l’âme sœur.

Habités par une quête spirituelle brûlante, les poèmes du Tigre Absence saisissent le lecteur d’une beauté étrange, à la fois vibrante et hiératique. Nul mot ne définirait mieux cette voix que ceux qu’elle décernait à la poétesse américaine Marianne Moore, « simple, rare, subtile, royale, vertigineuse, limpide, patiente, rigoureuse, décidée, austère, essentielle, ferme, érudite et discrète ».

En France, la traduction de ses textes en prose sous le titre  Les impardonnables (Gallimard, 1992), a été une révélation. Son rayonnement littéraire n’a cessé de croître depuis lors.

L’ensemble des poèmes de Cristina Campo ont été traduits pour la première fois en 1996 par Monique Baccelli dans la collection «Les Cahiers d’Arfuyen ». C’est cette traduction qui est aujourd’hui rééditée dans la collection « Neige » où elle a sa vraie place.

Rappelons que Monique Baccelli a traduit nombre des plus grands écrivains italiens. Pour Arfuyen, elle a traduit Giuseppe Bonaviri (1996), Alda Merini (2021) et, tout récemment, L’Île du Vésuve de Clotilde Marghieri (2022).

       Coll. Neige  –   2023  —  132 p.  –  ISBN 978-2-845-90359-3  –  15 €

Villa Florida

Journaux 1918-1934

Traduit de l’allemand et présenté par Charles Fichter. Préface de Michèle Finck

Romancier, essayiste, poète, René Schickele (1883-1940) est l’un des grands écrivains germanophones du début du XXe siècle. Intellectuel engagé, il a été un ardent militant pacifiste.

II faut lire ce qu’écrivait de lui Thomas Mann, Prix Nobel de littérature 1929 : « Schickele est Alsacien, il est né dans ce pays formant frontière, où depuis toujours les destinées de l’Europe ont balancé entre la France et l’Allemagne : voilà ce qui détermine l’allure et le ton de son œuvre si riche et si pleine de charmes. »

Dès 1931, Schickele est violemment attaqué par la presse nazie et doit s’exiler sur la Côte d’Azur, d’abord à Sanary, puis à Nice-Fabron, « Villa Florida » : «  La maison est belle, au-delà de toute attente. […] La nuit, j’ai le sentiment d’être sur un navire qui entame une longue croisière, au but inconnu. »

Schickele partage cette « croisière » vers l’inconnu avec d’autres exilés célèbres, de Huxley et D.H. Lawrence à Thomas et Heinrich Mann. Schickele note au jour le jour les événements et ses rencontres et son journal a toute la vivacité de l’improvisation.

Ses Journaux sont ainsi une chronique pleine de saveur et d’humour sur cette étrange colonie où se côtoient des personnalités venues de l’Europe entière. On y trouve d’admirables portraits, pris sur le vif, mais aussi des descriptions émerveillées de la Riviera ainsi que des séquences pleines d’humour ou de nostalgie.

Au niveau historique, on y trouve également un témoignage lucide et documenté sur la montée comme inéluctable du populisme nazi, ainsi qu’une profonde réflexion sur l’identité allemande. « Qu’est-ce que l’Allemagne ?» se demande-t-il avec angoisse. À quoi Thomas Mann répond : « Vous et moi et mon frère […], il faut qu’on dise un jour que c’est nous qui étions en ce temps – là l’Allemagne authentique. »

Villa Florida est traduit de l’allemand et présenté par Charles Fichter, traducteur en 2019 aux éditions Arfuyen de Nous ne voulons pas mourir, prix Nathan Katz du patrimoine.

   Coll. Les Vies imaginaires — 2023 — 272 p — ISBN 978-2-845-90348-7 — 18,5 €

Le mot de pauvreté

Préface de Jean-Luc Nancy

Le mot de pauvreté : titre étrange. Qui d’emblée récuse le jeu illusionniste de l’écriture et consent à donner le poème pour ce qu’il est : fait de mots, seulement de mots – même si les plus lumineux. Et qui d’emblée récuse l’idée même de tout accomplisse-ment par les mots : les mots ne sont à proprement parler que pauvreté. Il n’y a en eux de richesse, de plénitude que pour autant que nous nous aveuglons.

Dire donc cette pauvreté inhérente aux mots, et rien de plus : « il n’y a rien à dire de plus / que ce qui manque par-dessus tout // si quelque chose est vrai / c’est la pauvreté. » Car il n’y a de parole vraie que celle qui consent sa propre pauvreté : « la pauvreté est une conscience / sans prétention » Qui renonce à feindre, à briller. Qui laisse les choses être ce qu’elles sont : « un mot de pauvreté ne construit rien / par-dessus le vide / qui fait peur // sinon ce serait abandonner / la pauvreté »

Car les choses ne sont rien que l’on pourrait dire : « tout le travail est de / comprendre que rien n’est pas une idée / rien n’est rien d’abstrait » Les choses ne sont que les choses, si pauvres que nous ne savons rien en dire et qu’incapables de faire face à ce rien nous en faisons une idée : « ni échec ni succès : une langue / pauvre ne serait plus dupe d’elle-même // (celui qui parle en croyant / ce qu’il dit / croit en la richesse) » Mais voulons-nous vraiment comprendre? On dirait que sans cesse « la pauvreté s’éloigne // nous / entretenons / les clôtures ».

Né en 1986, Paul Laborde a déjà derrière lui une riche expérience littéraire : un premier livre aux éditions Cheyne, suivi de trois autres ; la création d’une ambitieuse revue, Conséquence, autour de la relation entre l’écriture et la vie, avec des textes de Badiou, Rancière, Nancy, du Bouchet, Demangeot et Bernard Noël.

Ce livre d’un seul tenant témoigne d’une relation peu commune avec les mots et avec le monde : l’exigence de lucidité y est radicale, l’écriture dépouillé de tout artifice, y compris celui du dépouillement. Austérité, rigueur. Mais surtout une grande douceur, une étrange limpidité. Ici la philosophie et la poésie procèdent d’une même écriture, qui ouvre un vaste espace nouveau. Le philosophe Jean-Luc Nancy (1940-2021), compagnon de pensée de Jacques Derrida et de Philippe Lacoue-Labarthe, a donné peu de temps avant sa mort à Paul Laborde une éclairante préface.

     Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 112 pages – ISBN 978-2-845-90349-4 – 14 €

Ainsi parlait Eugène Delacroix

Dits et maximes de vie

Textes choisis et présentés par Marie Alloy et Jean Pierre Vidal.

Après Ainsi parlait Léonard de Vinci (2019), cet ouvrage est le deuxième de la collection Ainsi parlait qui soit consacré à un peintre. C’est que Delacroix (1798-1863) n’est pas seulement le peintre de la mythique Liberté guidant le peuple (Louvre) : il est aussi l’auteur d’une œuvre écrite considérable : un Journal de quelque 1800 pages, de nombreux essais, une abondante correspondance. La même année qu’il expose son premier tableau au Salon, il commence à écrire son Journal. Il le reprendra en 1847 pour ne plus l’abandonner jusqu’à la fin de sa vie.

Delacroix « est, dans son art, l’innovateur et l’oseur par excellence », écrivait George Sand. Dans sa peinture, la couleur et le mouvement fait exploser les formes. De même, dans ses écrits, sa réflexion est toujours mobile, en éveil. D’une nature proche de celle de Montaigne, il déteste tout ce qui vient figer les choses, que ce soit par la forme qui cerne ou par la pensée qui définit. Pour lui la matière est vie et la peinture espace en mouvement. Ce solitaire est toujours en dialogue, ce pessimiste est toujours en recherche de nouveauté.

Reconnu et commenté dès ses premières présentations, il a aussi été haï jusqu’à sa mort. Jamais on ne lui a permis d’enseigner, et il n’est admis à l’Institut qu’à sa 7e candidature. Delacroix choque, car il montre la violence et le tragique du monde : guerres, crimes, suicides, viols, corruption. «Le sauvage revient toujours, écrit-il. La civilisation la plus outrée ne peut bannir de nos villes les crimes atroces qui semblent le partage des peuples aveuglés par la barbarie. »

Il y une profonde parenté entre Baudelaire et Delacroix, dans la violence et la cruauté même. Mais Baudelaire déteste la nature, Delacroix l’aime profon-dément. Baudelaire déteste la femme, Delacroix la respecte. Quelques semaines avant de mourir, Delacroix écrit les dernières lignes de son Journal : « Un tableau doit être une fête pour l’œil ». Sagesse pratique de Delacroix :  opposer la joie de l’art au tragique inexorable de la vie.

Pour lire et présenter l’œuvre écrite de Delacroix, il fallait bien sûr un peintre proche des écrivains, et c’est Marie Alloy, directrice des éditions Le silence qui roule. Il fallait également un écrivain proche de la peinture , et c’est Jean Pierre Vidal, poète et essayiste, auteur chez Arfuyen de Passage des embellies.

      Coll. Ainsi parlait – 176 pages — 2023 – ISBN 978-2-845-90356-2 – 14 €

Ainsi parlait James Joyce

Dits et maximes de vie

Traduit de l’anglais et présenté pat Mathieu Jung. BILINGUE

James Joyce (1882-1941) est un des plus grands écrivains de la littérature anglophone.  Son grand roman, Ulysse, est avec la Recherche du temps perdu de Proust l’une des œuvres majeures du XXe siècle. C’est aussi l’une des plus mystérieuses et déroutantes. Si la personnalité de Proust nous est connue dans ses moindres détails, la figure de Joyce reste en revanche  très énigmatique. Génie ou farceur ? Ou les deux ? « Ne vois-tu pas la simplicité qui est au fond de tous mes déguisements », écrivait Joyce lui-même.

A coup sûr Joyce est un écrivain multiple. Outre les romans, l’œuvre de Joyce comprend des nouvelles, des poèmes, du théâtre ainsi que des articles et une abondante correspondance. Elle reste ainsi largement inconnue du public francophone.

Même dans le seul domaine de la fiction, l’œuvre de Joyce est très diverse. Il y a l’auteur des Gens de Dublin avec leurs célèbres « épiphanies ». Il y a le récit autobiographique encore plutôt  classique du Portrait de l’Artiste en jeune homme. Et il y a ce livre étrange, Ulysse, qui change tout : dans les 700 p. de cette Odyssée vertigineuse et cocasse, c’est l’universel quotidien qui nous est révélé à travers les faits et gestes de Leopold Bloom au cours d’une unique journé à Dublin. Il y a enfin cette œuvre testamentaire, Finnegans Wake où se mêlent langues, mythes et rêves, au risque d’en devenir illisible.

Comme Proust, Joyce est devenu un mythe. Comme lui il a sa propre géographie. Non pas Combray, Balbec et Venise. Mais Dublin, Paris, Trieste, Zurich. À Nice, au bord de la baie des Anges, un hôtel rappelle qu’ici Joyce a commencé d’écrire Finnegans Wake en octobre 1922. Comme Proust, il a engendré une sorte d’idolâtrie, ses habitudes et ses manies servant de références ultimes.

Comment aborder un tel monument à travers un volume de la collection Ainsi parlait ? C’est un défi qu’a relevé Mathieu Jung, spécialiste de l’écrivain irlandais et coordinateur de l’hommage que lui a rendu la revue Europe en 2022. Il nous offre ainsi l’indispensable initiation à une œuvre-monde.

        Coll. Ainsi parlait – 2023 – 192 p – ISBN 978-2-845-90354-8 – 14 €

Le Swami et la Carmélite II

LA BEAUTÉ DU GANGE

Correspondance Henri Le SauxThérèse de Jésus 1968-1973. Préface et notes de Yann Vagneux

Les éditions Arfuyen ont publié en septembre 2022 le premier volume de la correspondance entre le swami Henri Le Saux (1910-1973) et la carmélite Thérèse de Jésus (1925-1976), « L’appel de l’Inde ». Ce second volume, « La beauté du Gange » montre l’accomplissement de ces deux destins hors du commun.

En juin 1975, Thérèse réalise le rêve qui l’habite depuis tant d’années : « une petite maison très primitive de deux pièces, avec toit de tôle ondulée sans électricité, au milieu des manguiers et autres arbres […] En faisant de la gymnastique dans les rochers, je peux aller prendre mon bain dans le Gange qui coule en contre-bas. Je n’ai jamais rencontré nulle part une telle qualité de silence. »

Son maître Henri Le Saux est mort depuis deux ans déjà. Sa solitude est totale. Elle est initiée au mantra le plus ancien de l’Inde alors que « même les femmes de caste brahmanique n’ont pas le droit d’y être initiées. »

Un an après cependant, sa maisonnette est retrouvée déserte. Six mois plus tard, en avril 1977, l’autre disciple d’Henri Le Saux, Marc Chaduc, disparaîtra lui aussi de son ermitage de Kaudiyala, à 30 km de là. Jamais leurs corps ne seront retrouvés.

De l’étonnante destinée de Thérèse de Jésus (1925-1976), partie du carmel de Lisieux pour rejoindre en Inde Henri Le Saux (1910-1973) et disparue sur les bords du Gange, il semblait ne rien rester.

En l’espace de trois ans, de Lisieux à Pondichéry, en passant par Delhi, plus de 700 pages de lettres ont été retrouvées par Yann Vagneux, prêtre des missions étrangères et grand connaisseur de l’Inde. De cet ensemble se dégage le dialogue spirituel exceptionnel qui a eu lieu entre cette femme assoiffée d’absolu et pleine de courage et le charismatique moine bénédictin devenu en Inde swami Abhishiktananda.

Henri Le Saux a laissé de nombreux ouvrages étincelants d’intelligence et de liberté intérieure. Citons Sagesse hindoue, mystique chrétienne (1965) ou Souvenirs d’Arunâchala (1978). Fondée sur la solide formation monastique des bénédictins et sur la méditation incessante des écritures chrétiennes et hindoues, son aventure spirituelle est l’une des plus fascinantes du XX° siècle.

  Coll. Ombre  –  2023  –  264 pages  –  19,5 euros  –  ISBN 978-2-845-90355-5

Jérusalem

Traduit de l’anglais et présenté par Romain Mollard. BILINGUE

Peintre et écrivain visionnaire, William Blake (1757-1827) est l’un des auteurs fondateurs de la littérature anglo-saxonne et l’un des créateurs les plus étonnants et modernes à bien des égards. Il reste cependant très mal connu en France.

Les Éditions Arfuyen ont dès 1992 commencé à publier Blake. L’ensemble des traductions d’Alain Suied ont été réunies en deux volumes : Les Chants de l’Innocence et de l’Expérience (2002) et Le Mariage du Ciel et de l’Enfer, accompagné du Livre de Thel et de L’Évangile éternel (2004). Ces deux volumes de traductions par Alain Suied font aujourd’hui référence.

Pour Blake, ce ne sont pourtant pas ces textes-là, mais ses nombreux livres dits « prophétiques » qui constituent l’essentiel de son œuvre. Le plus important de ceux-ci, Jérusalem (1820) est ici traduit en français pour la première fois. Présenté en édition bilingue dans une version simplifiée, il est accompagné de nombreux commentaires et notes très éclairants.

Dans Jérusalem, Blake mêle visions métaphysiques, réflexions historiques et éléments autobiographiques. Son but est d’« ouvrir les mondes éternels, ouvrir les yeux immortels / De l’Homme vers l’intérieur, dans les mondes de pensée. » Les lecteurs doivent devenir eux aussi visionnaires, comme l’est l’auteur lui-même, personnifié sous les traits de Los, le poète éternel.

Ce monde de l’« imagination » où nous introduit Blake est le nôtre et en même temps un autre : comme l’univers du Seigneur des Anneaux ou de la Guerre des étoiles, il est plein de créatures mystérieuses et d’histoires terrifiantes. La gageure réussie par le traducteur est de nous y guider en en faisant ressortir l’essentiel et en en dévoilant les sens cachés.

         Coll. Neige  –  192 pages  –  ISBN 978-2-845-90350-0  –  17 €

Terres

Après Jours (2019) qui récapitulait 50 ans de poésie, Terres marque un nouvel aboutissement où l’enfance libanaise et l’amour perdu apparaissent dans une lumière plus vive encore.

En 1970, René Char écrit à Marwan Hoss : « Il m’est agréable de vous écrire combien vos poèmes me trouvent, me découvrent peut-être aussi à moi-même, à l’âge des sombres chagrins. » Et un mois plus tard : « Sur la ligne de l’horizon où vous m’êtes apparu, je ne vous confonds avec aucun autre. »

En 2019 a paru Jours, un recueil de 248 pages réunissant l’ensemble des textes de Marwan Hoss écrits depuis 1969. Terres rassemble les poèmes écrits depuis lors. On y retrouve la tonalité unique qui marque cette poésie, à la confluence de Char et de Schéhadé : étrange et grave, ascétique et sensuelle, brûlante et raffinée.

« Dans l’aube froide / les sarcelles de mon enfance / prennent leur premier envol / Les chasseurs tirent et font / saigner leurs cœurs / Derrière les roseaux / se cachent les oiseaux blessés ». Même lorsqu’il s’agit de l’enfance, la menace est toujours présente. Toujours se font sentir « les fusils / au loin ». Et l’amour lui-même parachève cette violence : « Le désir a fait trembler / mon enfance // Le feu de ton regard / l’a incendié »

Les poèmes sont le seul lieu possible d’une réconciliation : « Mes poèmes ressuscitent / ma mémoire » On y peut reprendre souffle : « Sur la feuille respirent / les mots ». Méfiance cependant : les mots, comme l’amour, peuvent vite se retourner. Parfois, « les mots se révoltent / ils traquent les poètes / dans les jardins de la ville » Même avec les mots la paix est fragile. Le poète vit « en état d’alerte ».

     Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 96 pages – ISBN 978-2-845-90357-9 – 13 €

Le texte impossible

suivi de Le vent effacera mes traces

La collection Les Vies imaginaires se consacre aux textes appartenant à la vaste zone intermédiaire entre autobiographie et création. Le texte impossible, d’Alain Roussel, se situe précisément à cette jonction de l’autobiographie et de la création, l’une et l’autre se nourrissant mutuellement sans pouvoir jamais coïncider.

Et c’est cette impossibilité même de coïncider jamais avec le texte qui fait écrire encore et toujours : « Le texte impossible, je ne l’écris pas réellement, je vois bien que je ne peux l’écrire, qu’il est condamné à battre de l’aile contre la vitre de la vie quotidienne sans pouvoir la briser. » On croit pouvoir rendre compte du réel, en faire un portrait fidèle et exact. On ne fait que créer une autre réalité parallèle à la première et qui jamais ne la rejoint.

Le texte impossible ne pouvait être écrit que dans la lumière provençale. L’auteur arrive à Arles début septembre 1974. Il ne connaissait pas cette ville. Qu’il guette de sa fenêtre, dans le lointain, l’abbaye de Montmajour et les Alpilles, qu’il arpente les rues en dédale ou longe le Rhône, tout l’appelle. Il ressent comme un irrésistible besoin d’écrire. Ce qui se passe en lui, il ne le sait pas vraiment. Il y a ce tumulte intérieur, ce tourbillon de mots qui ne demande qu’à être canalisé dans des phrases.

Mais qui parle ? Est-ce lui ou un autre qu’il porte en lui depuis toujours sans le savoir ? Est-ce la pensée, dans sa part inconnue, qui cherche à prendre ancrage ? Est-ce la ville qui, à travers lui, cherche une voix pour se dire ? Et puis, en fil d’Ariane, il y a cette femme mystérieuse dont tout le livre est la quête, la femme avec laquelle il vit un amour impossible – ce grand mutisme blanc qui est le sien – et qu’il cherche à réinventer avec les mots dans les femmes qu’il croise ? Mais que peut la parole quand l’amour se meurt ?

Le texte impossible a d’abord été écrit directement sur stencil, donc sans possibilité de correction, dans une sorte d’euphorie. Imprimé sous cette forme très rudimentaire, tiré à quelques exemplaires, il l’enverra à quelques personnes, poètes et écrivains, dont il devra chercher parfois l’adresse dans l’annuaire. À sa grande surprise, les réponses affluèrent, toutes élogieuses : Roland Barthes, Adrien Dax, René Nelli, Henri Chopin (la poésie sonore), José Pierre, Jacques Lepage, Robert Lebel… Gherasim Luca lui enverra son premier disque artisanal, sur support souple, «Passionnément », avec une dédicace. Publié en 1980 d’une façon très confidentielle par « inactualité de l’orage », il connaît un accueil similaire, avec les réponses de Joyce Mansour, Vincent Bounoure, Jean-Michel Goutier notamment.

Cette nouvelle édition du Texte impossible a été entièrement revue, sans trahir le texte, et en ajoutant d’autres textes-poèmes, de nature souvent autobiographique, qui viennent apporter un éclairage supplémentaire, indispensable.

  Coll. Les Vies imaginaires – 2023 – 108 p – ISBN 978-2-845-90353-1 – 13,5 €