Le temps ouvre les yeux

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Oratorio

 

En ouverture du livre une notice est donnée : Pour l’interprétation de cette pièce. D’emblée le titre suggère la référence musicale : « Toujours des lumières apparaissent, des formes, des couleurs. Cela se déploie, se dilate. Les temps se croisent, s’accroissent. Toujours de plus belle. Haletant, titubant. […] Le paysage tout entier se compose, s’harmonise. C’est une vibration continue, inépuisable. Sous l’apparente fragilité, le lié, l’allègre d’une unique matière, labile, impalpable. La fluidité sans fin des feuillages, des pensées, des ombres. »

Publié en 2011, Le grand silence, oratorio a inauguré une forme nouvelle pour l’écriture poétique. Fondée sur une poétique radicalement repensée et sur une composition essentiellement musicale, elle tente de conjuguer le rythme de la prose et la concision du poème, la multiplicité du monde matériel et l’intensité de l’espace spirituel, pour les réconcilier dans l’unité du chant, un chant ample et fugué.

Dans le magazine La Vie qu’il dirige, Jean-Pierre Denis a salué ce livre novateur : « Dans les marges de son métier d’éditeur, mais désormais considérable, s’inscrit le travail de l’auteur. Le grand silence n’est pas un recueil, mais un puissant “oratorio”, montée de chants où la voie des mots porte la voix des morts, en une prenante anamnèse. Un chemin obsédant, envoûtant, où la puissance de la parole tient, paradoxalement, dans l’économie de mots : “mes morts qu’êtes-vous // devenus / où allons-nous // ensemble vos pas // derrière mes pas / votre sang dans le mien” »

Le temps ouvre les yeux s’inscrit dans la droite ligne du précédent oratorio. « Chemin obsédant, envoûtant », selon les termes de Jean-Pierre Denis, ou « méditation sur la généalogie et sur la mort », selon le poète Jacques Darras, Le grand silence s’inscrivait dans les images de la temporalité : cortège, lignage, sillage, train, arbre. Ce second oratorio les fait exploser pour s’inscrire dans les images de l’espace : simultanéité, jeu d’échos où le temps se dilate, s’ouvre à l’infini.

Comme Le grand silence, ce nouvel oratorio comporte trois fois trois arias : en tout 9 chants de même longueur, et un total de 121 pages (125 pour Le grand silence). Dès le début du quatrième chant s’installe le thème dominant de la composition : « le temps / est timide // et joueur / ici les bois // les vents / il regarde // il sourit / chaque point // dans l’air /s’ajuste // ici / l’ombre// la lumière / la baguette // est levée / face au vide // j’apprends à voir /comme on // compose / un bouquet // un jardin / comme on // invente / un monde // ici / le ciel // la terre / le temps regarde// les yeux / écarquillés ».

Les mots du poème font lever le chant, comme les timbres de l’orchestre font lever la musique, comme les couleurs du paysage font lever l’espace. Entre mots, timbres, couleurs, s’établit une totale identification comme entre chant, orchestre et paysage.

Au terme de multiples variations et contrepoints, ce thème culmine dans le dernier mouvement : « c’est / dans mon corps // dans ma gorge / les cordes // se lèvent / les bois // les cuivres / les courbes // se nouent les niveaux / s’étagent // l’espace s’organise / et n’est que la // lumière / de cet unique // regard / je chante // et je ne chante pas / tout est là // il n’y a rien / à dire // l’air / tremble à peine // sur les pétales / rouge // sans fin / le temps ouvre // les yeux / j’apprends à voir // les années / les siècles // l’or le bleu / le rose de ce matin // sous la haute / fenêtre // la vitesse / de la lumière »

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2013 – ISBN 978-2-845-90192-6 – 12 €