Passage par l’abîme

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Suivi de Une saison en enfer

« La pire tentation est de désespérer du bonheur. Dieu, c’est le bonheur fou. La vertu de Dieu, c’est la joie invincible, présente jusque dans l’absence. »

Celui qui écrit ces lignes sait de quoi il parle. Il connaît la tentation du désespoir, l’attrait du néant. « Quand meurt une personne aimée, c’est comme si se brisait un miroir qui nous renvoyait le soleil. »

L’obscurité s’établit. L’abîme s’installe dans le cœur. C’est ce passage par l’abîme que retrace ici Jean Bastaire. Passage, qui est aussi une Pâque. Une descente aux enfers, pour une autre naissance.

Dans le court essai, Une saison en enfer, qui suit les fragments qui retracent, en sept moments, ce Passage par l’abîme, Jean Bastaire nous livre les circonstances dans lesquelles ont été écrit ces textes de douleur et de renaissance :

« La dépression est une maladie terrible, note-t-il, car elle instaure le néant. C’est une mort vécue. Certes toutes les maladies, toutes les souffrances physiques et morales, quand elles atteignent une certaine intensité, ont cet effet annihilant. Mais la dépression lui donne un caractère radical, au sens où l’on a l’impression que le mal touche à la racine. Le plus éprouvant est là. On est privé de sa vie et on continue à vivre. Distorsion abominable entre l’être et le néant qui fait qu’on cumule les deux états. Il se produit une étrange sensation de subsister à côté de son existence. (…) C’est à la fois une consolation et un supplice. On se dit que puisque tout est intact, tout peut revenir. Le contact se renouera. On cessera d’être étranger à soi-même, séparé de son sens. (…)

« Il y a là un paradoxe insoutenable qui donne un avant-goût de l’enfer. Comment le non-être peut-il avoir un être et l’être véritable se révéler inaccessible ? La privation a cela de crucifiant qu’elle n’est pas un zéro d’existence, mais une existence en creux, en manque, en vide. Une existence invertie qui inverse tous les signes. (…) Un doute torturant jette le discrédit sur toutes les certitudes et ruine tous les efforts. Le monde, les autres, soi, tout s’abîme aux deux sens du mot : se détériore et tombe dans un trou. Ainsi s’établit un vertige de l’avilissement qui marque le comble de la crise. »

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 1998 – ISBN 978-2-908-82565-7 – 11,43 €