Soleils chauves

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Après L’ailleurs des mots (2007), La Lune noircie (2009) et Je renaîtrai (2011), Soleils chauves est le quatrième livre d’Anise Koltz publié par Éditions Arfuyen.  Luxembourgeoise, Anise Koltz est aujourd’hui l’une des voix majeures de la littérature francophone. Son œuvre, qui compte une vingtaine d’ouvrages, a été traduite en de nombreuses langues.

« J’ai escorté mon nom / jusqu’à l’oubli // Demain je renaîtrai /surgissant de l’argile // Mon ombre gravite déjà / autour d’une nouvelle effigie ». Inspirées des paysages de l’Égypte et de sa mythologie, les images s’y succédaient en une sorte de liturgie mystérieuse et cruelle, porteuses de significations inépuisables, sans pourtant de consolation. Plus âpres encore s’il se peut les paysages où nous introduisent les Soleils chauves en ce nouveau recueil.

Dès le premier poème, cette fois encore, le ton est donné, d’un coup d’archet sûr et grinçant : « Mon corps / est recouvert de plumes // Mes bras pendent / comme des ailes cassées // Je crains l’obscurité –// Mon ombre est un messager / de l’enfer. » Notre terre familière, n’est plus le lieu de cette écriture. Je renaîtrai était comme une prophétie : la voici accomplie. Mais, pour autant, il ne s’agit certes pas ici d’une résurrection ni d’une métempsychose.

C’est un espace infernal qui s’est ouvert, où nulle vie n’est stable, nulle mort assurée. Tout est en transition, en migration : « Mes rêves /ont peur des rêves // Mes rêves / sont sans échelles // Ils me réveillent / Vieillie / de plusieurs vies » Tout renaît, et tout est déjà vieilli. Tout disparaît, et tout est déjà repris : piégé, emprisonné : « Ma vie ici bas /est l’ombre / d’une dimension invisible // Je n’ai plus le temps / d’avoir le temps // J’ai survécu / à mon ange gardien // Je suis devenue moi / sans être moi ».

Les poèmes d’Anise Koltz nous introduisent dans un savoir d’au-delà, douloureux, ancestral. Venu d’on ne sait quelle profondeur temporelle ou spirituelle : « Depuis des millénaires / les tares de nos ancêtres / renaissent dans notre sang // Notre fin se trouve /dans notre commencement » Comme si ces révélations surgissaient des affres de quelque transe chamanique : « Un vide infranchissable /enveloppe ma voix // Vie et mort sont contenues / dans ma parole // Je la crache / comme un cracheur de feu / jusqu’à ce que ma salive / tourne au noir » Ou comme si ces paradoxes résultaient de troubles réminiscences gnostiques : « Une voix sans corps / que personne n’a jamais entendue / traîne au bord de l’eau // Détournant la réalité // Cette voix / longtemps / encore appelle // Cherchant un nouvel espace »

Les mots ne sont à jamais que des « soleils chauves », sans lumière, sans chaleur. Notre vie n’est qu’un vain sacrifice, sur l’autel d’une tombe, une offrande pourtant, qui porte en soi sa cruelle beauté : « Je me pose sur ta tombe comme un rapace, dit le dernier poème / dépliant mes ailes noircies / je t’apporte ma proie / comme pitance »

♦♦♦    Lire l’article de Didier Ayres 

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2012 – ISBN 978-2-845-90174-2 – 10 €