Ceux que l’on oublie difficilement

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Wasuregataki hitobito

Texte  traduit du japonais par Alain Gouvret, Yasuko Kudaka et Gérard Pfister – BILINGUE 

« Takuboku meurt à vinqt-sept ans, ayant, du fond même de la nature humaine, jeté vers le ciel trop haut et la terre trop sourde la plainte la plus désespérée de toute la poésie japonaise. » Ainsi Georges Bonneau présentait-il en 1938 la poésie et la destinée d’Ishikawa Takuboku, plus étranges et plus dérangeantes encore dans le paysage culturel japonais que peuvent l’être, pour notre littérature, celles d’un Rimbaud.

Ceux que l’on oublie difficilement, l’un de ses textes les plus émouvants, constitue la quatrième partie du volume Ichiaku no suna (Une poignée de sable) dont sont également extraits les textes de Fumées parus en avril dernier.

Ceux que l’on oublie difficilement. Cette femme : « Si l’on disait : « n’as-tu jamais voulu mourir » / « regarde cela » / elle montrait une cicatrice à la gorge ». Ou bien cette autre : «Les années se sont amassées / depuis notre séparation / combien tu m’es devenue chère ». Ou encore cette voix : « Une fois encore si j’entendais dette voix / totalement alors / ma poitrine s’allégerait ».

Ce volume constitue la première traduction française d’un des auteurs les plus bouleversants de la poésie japonaise. Un de ceux, oui, qu’on oublie difficilement. Que le peuple japonais, aujourd’hui encore, aime d’une affection toute particulière. Comme un enfant malheureux.

La poésie de Takuboku est on ne peut plus simple. D’une nudité qui risque toujours de basculer dans la banalité, la platitude. Des visages, des regards, des silhouettes entraperçus. Tout un monde flottant, dérivant, à l’extrême bord du désespoir, juste au bord.

Car ce monde n’est pas la belle nature que nous montrent les poètes du haïku. Les notations de Takuboku sont tout aussi aigües et presque impalpables, mais c e qu’il nous fait voir, crûment, c’est la misère insondable du monde des villes. Notre monde. La fatigue, la lassitude, la faiblesse, la veulerie, la maladie. Des hommes e des femmes d e tous âges, de toutes conditions, saisis dans leur essence, presque sans aucune description.

Écoutons-le encore : « Qu’elle est triste la ville d’Otaru / dans les voix rocailleuses / de ces hommes qui ne chantent pas ». Ou bien : « L’enfant sur le dos elle m’accompagnait / dans la gare des bourrasques de neige s’engouffraient / – le regard de ma femme ». Ou bien encore: « Cet ami que je suis venu à haïr / longuement j’ai serré sa main / au moment de nous séparer ».

Coll. Tirés à part