La lecture d’Alain Roussel
Extraits d’un article sur Ainsi parlait Paracelse paru dans En attendant Nadeau en novembre 2016
Qui était Paracelse ? On croit le connaître, mais il reste énigmatique. Ses biographes le décrivent comme un être malingre dans sa jeunesse, presque rachitique. Ayant perdu sa mère en bas âge, peut-être à la naissance, il fut élevé par son père, médecin, qui lui apprit très tôt à reconnaître les plantes médicinales directement dans le « grand livre de la nature » lors de leurs randonnées. […]
Son œuvre est à l’image du personnage et ne peut laisser indifférent. Elle est foisonnante, traversée d’intuitions géniales qu’il a souvent vérifiées par la pratique du laboratoire où il prépare ses remèdes ; puis soudain, dans ses écrits, il part dans de longues digressions, se met à fulminer, non sans panache, contre ses confrères : « Vous êtes docteurs à la manière de vos simples qui sont pourris, malades, bons à jeter et véreux », écrit-il dans son Paragranum. Cependant, cette œuvre a une profonde cohérence. […]
Longtemps, les livres que nous connaissions en français étaient traduits du latin et constituaient donc la traduction d’une traduction, car Paracelse écrivait en alémanique, dialecte allemand dans lequel il tenait à s’exprimer, à la fois par fierté et par défi. Il a fallu attendre Bernard Gorceix, avec la publication des Œuvres médicales aux Presses universitaires de France pour que l’on dispose enfin d’une traduction directe, de l’alémanique au français. C’est de la même initiative que relève Ainsi parlait Paracelse, publié par les éditions Arfuyen : d’un côté le texte en alémanique, de l’autre la traduction française de Lucien Braun.
Le grand intérêt de ce nouveau livre, c’est qu’il procède d’un choix effectué dans l’ensemble des textes publiés en allemand, édition Sudhoff et édition Goldammer. Il nous offre une lecture transversale de l’œuvre de Paracelse sous la forme de fragments qui ont l’avantage de mieux fixer la pensée et nous entraînent dans une méditation adaptée à notre temps. Tout choix implique une orientation, mais celle-ci peut s’avérer précieuse dans le cas de Paracelse dont le style, très imagé, souvent répétitif et riche en néologismes, est susceptible de déconcerter les lecteurs d’aujourd’hui.
L’éditeur et le traducteur mettent en exergue du livre cette magnifique devise de Paracelse : « Qu’il se garde d’appartenir à un autre celui qui peut n’être qu’à soi. » En effet, ce médecin ne reconnaît comme maître que la nature elle-même, dans son incessante créativité au cœur des minéraux, des plantes, des astres et des hommes. Même le temps est vivant pour Paracelse, construisant et détruisant à chaque instant, et toute thérapeutique doit en tenir compte.
Le livre met bien en évidence les quatre piliers sur lesquels prend appui son enseignement. Le médecin doit être un philosophe : « La nature diffère-t-elle de la philosophie, la philosophie est-elle autre chose que la connaissance de l’invisible nature ? » Il doit être un alchimiste, dans le sens précis qu’il donne à ce terme : « Est alchimiste, par conséquent, celui qui conduit au terme voulu par la nature ce que celle-ci produit dans l’intérêt des hommes. » La connaissance de l’astronomie et de l’astrologie, qui sont indissociables pour Paracelse, est nécessaire à l’exercice de l’art médical, car « toutes les planètes ont en l’homme leur reflet, leur signature ». Enfin, la vertu, qui consiste essentiellement à parfaire son art, à s’élever contre les fausses doctrines et à aimer les malades plus que soi-même. La clef de l’édifice paracelsien réside dans l’art de reconnaître les signatures : « Rien n’existe dans la nature qu’elle n’ait signé, et grâce à ces signes nous pouvons connaître ce que renferment les êtres ainsi signés. »
Ces dits et maximes de vie raviront ceux qui connaissent déjà ce « médecin maudit », comme constituant un résumé de son œuvre ; les autres découvriront l’un des auteurs les plus singuliers de la Renaissance, dont Jung disait avec admiration qu’il était un précurseur.