Sur les Élégies de Bierville

ROUSSEL 1

La lecture d’Alain Roussel

Extraits d’un article sur les Élégies de Bierville paru dans Passager clandestin de la pensée en mars 2017

On ne commente pas les Élégies de Bierville, de Carles Riba, publiées en bilingue dans la collection Neige des éditions Arfuyen. On s’y abandonne, on les écoute en soi comme si nous étions nous-mêmes, au plus profond de nous, en exil.

En 1939, le poète catalan a dû fuir les troupes franquistes. Il est accueilli en France au château de Bierville par Marc Sangnier qui y organisait des camps de la paix réunissant des milliers de jeunes français et allemands. C’est là, loin de son pays, dans un exil qu’il compare à la mort, qu’il écrivit les cinq premières élégies. Dans cet éloignement forcé, il s’invente ou redécouvre en lui-même une patrie spirituelle à laquelle il accède par la poésie.

Les lecteurs qui maîtrisent le catalan auront l’avantage de pouvoir lire ces vers en hexamètres dactyliques dans la langue où ils ont été écrits, mais le traducteur, Jean-Claude Morera, a su nous restituer en vers libres et dans notre langue un certain rythme, tout en étant respectueux du sens et du cheminement de la pensée de l’auteur.

La meilleure approche de cette œuvre est celle de Riba lui-même qui écrit dans sa magnifique préface : « Dans l’émigration, en effet, et dans le sentiment de l’exil prirent forme ces élégies. Une à une, sans plan d’ensemble préétabli, chacune sans un signe d’aucune qui dut le suivre, chacune d’une certaine manière se développant à partir d’un son, d’un mot, d’une énigme issue de la précédente, exactement comme d’un germe inattendu. Surprise et merveille fut pour moi le premier vers, né soudain entier et armé d’une exigence de continuation, surprise aussi fut le silence avec lequel, inexorablement, se conclut le dernier. »

Voici la première élégie :

Il était secret le chemin, fabuleux de tristesses divines
jusqu’aux eaux vivantes qui me rappelèrent un nom,
oh ineffable ! et une secrète et simple manière
d’adoucir la pensée par une grâce tenace.
Libres au ciel, les ramilles avaient donné à la terre
leur printemps de naguère, moelleux et doré humblement ;
et mon pas, banni de tant d’hiers d’allégresse,
y a consolé la peine qui de l’hiver assoupi
me jetait vers un avril incertain, ah ! comme si demeuraient
tous les hommes en paix et que je fusse seul errant.
Songes pour moi seul en augure et en image !
L’âme le sait bien, elle n’est jamais seule à attendre ;
dans le parc frémissant où semble être pour renaître 
je ne sais quel dieu mort, fils de la source et du vert.