La lecture de Joël Vernet
Extraits d’un article sur Brisants paru sur Remue.net en janvier 2003
Dans les années 1985, je rencontrai, après une forte insistance de ma part, l’écrivain Vincent La Soudière. Je ne savais rien de lui et connaissais seulement son unique livre (qui fut une révélation pour moi) publié en 1978 chez Fata morgana (Chroniques antérieures) grâce aux bons soins d’Henri Michaux qui donna un frontispice pour l’occasion.
Plusieurs rencontres, quelques correspondances entre nous bâtirent une sorte d’amitié qui visait à l’essentiel. J’eus la joie d’habiter son appartement qu’il m’avait prêté, d’écrire sous une encre d’H. M. un manuscrit qui deviendrait mon Lâcher prise et que j’allais naturellement lui dédier (Lâcher prise, L’Escampette). Il nous donna ultérieurement des pages que nous publiâmes en revue.
Vincent, en vérité, ne se précipitait pas vers l’édition à bras ouverts. Il vivait, il écrivait dans le retrait absolu, état non choisi dont il ne tirait aucun gloire, non plus une quelconque amertume. Plus tard, je sus qu’il était proche d’un autre frère, l’écrivain argentin Antonio Porchia. Je ne savais pas que Vincent avait été lié à un tel degré ni à Michaux, non plus à Cioran tellement il m’a toujours semblé absolument étranger à ce que l’on nomme le « Milieu littéraire » Michaux et Cioran, justement, étaient à ces yeux, des écrivains à part. Dans le livre qui paraît aujourd’hui à titre posthume, puisque Vincent a choisi de s’en aller voilà dix ans maintenant, il écrit ceci : « J’aime marcher hors des pistes, c’est d’ailleurs la figure de ma vie : être ailleurs. »
Admirablement décrypté, mis en forme, commenté par Sylvia Massias, ce livre est d’ores et déjà une révélation dans le paysage éditorial qui n’apporte que rarement de très grandes surprises. Je dirai simplement que se dessine là une œuvre dénuée de mensonges, d’artifices, une œuvre incandescente, car « La poésie est quelque chose qui doit être entièrement vécu. Qui s’entrelace aux lianes de la vie, qui vit à son pouls. Qui sait intégrer la plus grande souffrance comme la plus grande joie. Qui se noue et s’encastre dans le temps, avec ses événements et ses absences d’événements, ses feux d’artifice et ses engloutissements. »
Vincent La Soudière a traversé le feu. Lisons ses livres. Découvrons là un poète qui vécut dans l’Invisible. Ce n’est pas peu dans notre époque tonitruante.