La lecture de Gaspard Hons
Extraits d’un article sur les Légendes paru dans le Mensuel littéraire et poétique en janvier 2002
Johannes Eckhart de Hochheim, dit Maître Eckhart, a parlé pour le simple et le docte, en théologien et en prêcheur. Suspecté d’hérésie il a connu un procès d’inquisition. Dominicain il a enseigné notamment à Paris, un an après l’exécution des Templiers et du bûcher de Marguerite de Porete. Ses écrits font penser aux aphorismes des Pères du désert. Nous voyons en lui un mystique, étranger aux hommes, éloigné de lui-même et limpide au-dedans.
Les Dits : les paroles mêmes d’Eckhart, ou des paroles rapportées par ses disciples ? Importe avant tout l’esprit qui s’en dégage et qui touche ce temps de la Sainte Inquisition. Par exemple, lorsque le pauvre tend la main pour recevoir le pain, il offre avec elle tout son honneur. En faisant l’apologie de la pauvreté (pauvreté d’esprit et pauvreté du Christ) Eckhart a été déclaré hérétique… Eckhart a su distinguer entre le vrai maître intérieur et l’autre, le maître du savoir : « Mieux vaudrait un seul maître à vivre (Lebemeister) que mille maîtres à penser (Lesemeister). Mais penser et vivre sans Dieu, personne ne peut y parvenir. »
Aux Dits d’Eckhart nous préférons les Légendes, anecdotes ou faux contes populaires. Une saveur de mysticisme ordinaire, du quotidien y règne. Plusieurs légendes, celle de la « fille », celle du festin ou celle de l’adieu du maître nous questionnent. Dans ces anecdotes le théologien et le prêcheur finissent par se rejoindre. Le message, puisque message il y a, est toujours identique, les formulations étant différentes. Il y a chez Eckhart un accueil, une écoute, une ouverture, ainsi qu’une recherche parfois irritante de perfection : devenir véritablement un avec Dieu :
« Qui es-tu ? lui demanda Maître Eckhart.
– Un roi, répondit l’enfant.
– Où donc est ton royaume ?
– Il est dans mon cœur.
– Prends bien garde alors que personne ne vienne à le posséder avec toi !
– J’y veille ».
Si les Légendes sont savoureuses, elles sont pour les détracteurs du Maître, trop audacieuses : « Si avec l’aide de Dieu, un homme pouvait apprendre vraiment à embrasser la vertu, il deviendrait du même coup le maître de tous ses vices. »
De ces deux ouvrages nous gardons ces mots précieux mis dans la bouche de la « fille » venue frapper à la porte du couvent : « Je ne suis qu’une chose parmi les autres choses. » Un moine bouddhiste approchant le Mont Tai-chan aurait pu les prononcer. Sans doute l’a-t-il fait.