La lecture de Sébastien Lapaque
Extraits d’un article sur Prières et méditations paru dans Certitudes en janvier 1993
« Qu’importe, d’ailleurs, que mon œuvre survive ? se demandait un jour Georges Bernanos. La grâce que j’attends, c’est qu’elle revive, fût-ce en an autre siècle, un autre temps, une autre terre, et qui ne saura rien de moi, pas même mon nom. Il y a mille fois plus d’honneur à revivre qu’à survivre. »
Grand lecteur d’Ernest Hello, Bernanos se doutait-il que cette résurrection par-delà l’oubli attendait l’œuvre de ce mystique atypique, de ce « démantibulé sublime » qu’admirait tant Barbey d’Aurevilly ?
Lui qui reconnaissait avoir compris que « nous ne pouvons valoir quelque chose que par le sacrifice et l’oubli total de soi au profit de Dieu et de sa cause » après avoir lu L’Homme, Physionomie des saints et Le Siècle – autant de maîtres livres d’Ernest Hello au nom oublié – imaginait-il qu’après un délaissement absolu cet auteur ressurgirait à la fin du XX° siècle ?
La réédition en 1992 de Paroles de Dieu, fulgurante méditation et extraordinaire exploration des divins textes publiés par Ernest Hello en 1877, a posé la question une première fois.
Et voilà, miracle de l’édition, qu’arrivent chez nos libraires les Prières et Méditations, un recueil posthume dont on n’avait plus aperçu la couverture depuis Agadir, assorti d’un essai de Patrick Kéchichian.
Comme si « la désolante caillase du christianisme contemporain » – le mot est de Léon Bloy – poussait les hommes en quête d’autres voix, d’autres regards et d’autres âmes que celles de notre triste troupeau, la parole de Ernest Hello ressurgit, plus d’un siècle après sa mort obscure, et nous invite au sursaut ultime qui hâtera la victoire de Dieu et l’établissement de son terrestre règne.Retour ligne manuel
L’auteur de L’Homme n’était pas un de ces chrétiens qui prennent l’Évangile pour un livre édifiant, propre à discipliner le caractère et à former la volonté, un de ces textes qu’il faut méditer gravement mais dont il ne faut pas prendre les excès au pied de la lettre.
Il n’a jamais considéré les Béatitudes ni les promesses du Christ comme des blagues. Cela lui a valu d’être pris pour un fou par ses contemporains et d’avoir à faire la douloureuse expérience de la misère, mais cela n’a en rien refroidi son ardeur.
Que pouvait lui importer ! « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort », avait-il compris avec saint Paul. « Que notre immense faiblesse vienne à notre secours, écrit-il dans Paroles de Dieu. Que la prière et les larmes, signes de faiblesse, soient notre force et notre puissance ! » Hello, dont toute l’oeuvre est dressée pour rappeler à l’homme qu’il n’est « qu’une ruine avide de sa reconstruction » continue certainement d’effrayer ses lecteurs. Mais n’est-ce pas une urgence pour notre temps que d’être enfin effrayé ?
Alors que se prépare « un événement qui sera l’Événement plutôt qu’un événement », alors que les hommes, plus que jamais ignorants du nom de Dieu, poursuivent leur effroyable course à l’abîme, la voix ressuscitée d’Ernest Hello qu’une mystérieuse grâce daigne faire entendre doit entraîner l’effroi salutaire qui sauvera le sang d’Abel.