Textes liminaires de Yolande Siebert et Jacob Rogozinski
Traduit de l’alémanique par Jean-Louis Spieser – BILINGUE
Nathan Katz est le 14e écrivain mis à l’honneur par le Prix Nathan Katz du patrimoine, créé à Strasbourg en 2004 et qui porte son nom. Issu de la communauté juive du sud de l’Alsace, il est l’un des plus grands auteurs alémaniques du XXe siècle. L’universalité de ses thèmes, la sobriété de son écriture, le rayonnement de sa personnalité rendent son œuvre extrêmement attachante. Ici traduit pour la première fois en français, Annele Balthasar est l’œuvre majeure de Katz.
Ayant vraiment commencé d’écrire en français en 1945, l’Alsace, région riche et centrale de l’Europe, possède une littérature de premier plan en allemand et en alsacien. Compte tenu des événements de 1940-1945, ce patrimoine est devenu presque inaccessible. Il y a urgence à le traduire tant qu’il y a encore des personnes capables de le faire.
Annele Balthasar a été publié et représenté en 1924. Le succès est immédiat et se reproduira à chaque nouvelle mise en scène de la pièce. Ici aucune facilité, aucun pittoresque. Une écriture forte et nue. Un thème grave et universel : l’intolérance, l’exclusion, la persécution. C’est une femme qui en est la victime, comme tant d’autres le furent : on estime à quelque 100 000 personnes le nombre des victimes de la chasse aux sorcières.
Nathan Katz s’est directement inspiré du procès d’Anna Balthasar qui a eu lieu, à Altkirch en 1589, et décrit la terrible mécanique qui, à partir d’une simple dénonciation, fait enfler la rumeur, extorque les aveux et condamne à la mort. Cette chasse aux sorcières, ce n’est pas au Moyen Âge qu’elle a eu lieu, c’est à l’époque de Descartes : elle atteint son apogée aux XVIe et au XVIIe siècle (la dernière « sorcière » est exécutée en Suisse en 1782). Ce n’est plus alors l’Église qui la mène, ce sont les États : ce ne sont pas des inquisiteurs qui jugent Annele Balthasar, mais les magistrats d’un tribunal civil. Plus grave encore : ces politiques de terreur s’appuient sur une large adhésion populaire.
En cette même année 1924 où Nathan Katz faisait représenter son Annele Balthasar, à 300 kilomètres de là, dans la prison de Landsberg Adolf Hitler rédigeait Mein Kampf, qui désignait à la vindicte publique non plus les possédées du diable, mais tous les juifs.
« Katz aime les hommes et les plaint, écrivait Guillevic en 1930, il aimerait qu’ils changent et, comme il est bon, il espère en leur perfection. […] Je crois que Rilke l’aurait beaucoup aimé, lui qui aimait les choses et l’humilité. Il est très grand, et les enfants des imbéciles contemporains le sauront dans quelque dix ans. » Treize ans plus tard, sur la carte d’identité française de Katz seraient apposés quatre caractères d’un centimètre de haut : « Juif ».
♦♦♦ Lire l’article de Frédéric Dieu
Coll. Neige – 204 p – 2018 – ISBN 978-2-845-90268-8 – 18 €