La Troisième Main

2014-Finck

 

Après Balbuciendo (2012), La Troisième Main est le deuxième ouvrage de Michèle Finck publié par les Éditions Arfuyen. L’écriture de Michèle Finck y a trouvé tout naturellement sa place tant sa démarche présente d’affinité avec la ligne des Éditions, notamment par ses liens avec la littérature germanique, la culture musicale mais aussi les références judaïques.

Longtemps, Michèle Finck n’a publié ses poèmes que dans des revues (notamment Polyphonies et le Nouveau Recueil). Ce n’est qu’en 2007 qu’a paru son premier recueil, L’Ouïe éblouie, qui réunissait plus de vingt ans de poésie (Voix d’encre). De ce premier livre, Jean-Yves Masson écrivait : « Voici le langage à l’état naissant. Voici l’extase antérieure aux significations mortes qui encombrent notre cerveau. […] Poésie et musique ici célèbrent de nouveau leurs noces mystiques, splendides et troublantes. Jusqu’à l’éblouissement. Jusqu’à l’illumination. Jusqu’à l’enchantement » (Magazine littéraire, nov. 2007).

Parallèlement à l’écriture poétique, Michèle Finck a traduit des poètes allemands (Trakl) et publié des études sur Yves Bonnefoy et Claude Vigée, ainsi que des essais sur les rapports de la poésie avec la danse, les arts visuels et la musique (tout dernièrement : Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy : Le musicien panseur, Champion, 2014).

En épigraphe de la note finale de son recueil, Michèle Finck a placé ce mot d’ordre de Rilke : « Faire des choses avec de l’angoisse. » Comme Balbuciendo était placé sous le signe de la double épreuve d’une séparation et de la mort du père, La Troisième Main a été écrit dans des circonstances très particulières : « Ce livre, composé d’une suite de cent poèmes d’extase musicale, a été écrit dans le noir et la pénombre, après une opération de la cataracte. Comme si, en opérant les yeux, on avait ouvert quelque chose de plus profond : brèche dans l’écoute ; non pas poèmes sur la musique, mais poèmes à et avec la musique ; poésie et musique intensément mêlées, qui tournoient tout au bord du silence. Noir avec torche de musique. »

Sept parties jalonnent cet itinéraire nocturne à travers les grandes œuvres musicales, des plus classiques aux plus contemporaines : « Vers l’au-delà du son » ; « Musique, opus neige et feu » ; « Pianordalie » ; « Violoncelle psychopompe ; « Musique devance l’adieu » ; «Golgotha d’une femme » ; « Musique heurte néant ».

Comment décrire la subtile alchimie qui transmute la musique entendue en poème, comme un précipité de quelques mots, nullement descriptifs ni impressionnistes, mais rendant la même chose autrement, par d’autres moyens qui ne sont plus les sons mais les mots, avec leur propre économie et leur rayonnement propre. Il s’agi de transcription comme telle ouverture d’opéra de Rossini ou telle symphonie de Beethoven a pu être transcrite pour piano solo par Lizst. Et l’étrange est que les noms des œuvres et des interprètes deviennent eux-mêmes comme des éléments du texte.

Citons le premier de ces poèmes-transcriptions, comme un coup d’archet : « Bach : Cantate Ich habe genug. / Hans Hotter. Anthony Bernard. // Seigneur, c’est assez. Baryton descendu /Tout au fond des sons jusqu’à la douleur. / Tout au fond du silence jusqu’à l’amour. / La musique relie les vivants aux morts. / Elle est leur étreinte. Leur bouche-à-bouche. »

Ainsi chemine l’écriture en creusant sans cesse davantage, du Lamento d’Arianna de Monteverdi au Kat’a Kabanova de Janacek ; du Chevalier à la rose de Strauss à Sequenza III de Berio ; des Leçons de ténèbres de Couperin au Strange Fruit de Billie Holiday ; de la Lulu-Suite de Berg au Arsis et Thésis de Michaël Levinas.

♦♦♦ Lire l’article de Florence Trocmé

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen  – 148 p – 2015 – ISBN 978-2-845-90210-7 – 13 €