Laisser partir

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Ce recueil est depuis près de vingt ans le neuvième livre d’Alain Suied que publient les Éditions Arfuyen. Rappelons les titres précédents : Le corps parle (1989) ; Face au mur de la Loi (1991) ; Ce qui écoute en nous (1993) ; Le premier regard (1995) ; Le Pays perdu (1997) ; L’Ouvert, l’Imprononcable (1998) ; Rester humain (2001) ; L’Éveillée (2004). Il est le dernier à avoir paru avant sa mort en juillet 2008.

On se souvient que LÉveillée, son recueil précédent, était placé sous le signe de la quête de l’origine familiale et spirituelle : la figure de la mère et le Nom de Jacob en étaient les témoins. Les thèmes de ce nouveau recueil, tout en poursuivant cette recherche, nous rappellent aussi combien Alain Suied a toujours nourri sa recherche personnelle de l’expérience des grands psychanalystes.

En témoigne par exemple, dans la quatrième partie, « Entendre, écouter, comprendre », ce poème : « Entendre, écouter, comprendre : / de pays en pays, je traverse / le monde inexploré de ton regard. / Les lieux, les sources, les seuils / se confondent et se reflètent / dans notre histoire commune. / Je touche ta blessure et j’ouvre // l’horizon de ton destin. » Ou bien, un peu plus loin : « Tu te bats contre des ombres et voilà : / ta colère, ton cri , tes craintes / sont les seules lueurs qui te guident ! / Non , il ne peut revenir, le temps illusoire / où tu te confondais avec le désir / – tu dois chanter dans la nuit sans écho. »

Laisser partir est composé de quatre-vingts poèmes, répartis en huit suites de dix poèmes. Les titres de ces huit suites sont révélateurs de la tonalité de l’ouvrage : De la perte au manque – Obscur est le cœur – Le blessure la plus lointaine – Entendre, écouter, comprendre – Apnée dans le vraie vie – Sortir de la fausse mort – À l’arraché – Sous le masque de la chair.

En ouverture l’auteur a placé ce texte, comme une clef de lecture possible : « Je plongeai dans l’espace invisible. / La langue humaine disparut. / Une seule matière / ou peut-être un seul songe / se découpait, se refermait / à la croisée / de mon regard. / Ombres lointaines, lueurs perdues / présences, tremblantes présences / je vous ai confondues… »

Une plongée dans l’inconscient de l’homme qui nous mène cependant là encore bien au-delà de l’individu : dans un passé commun, toujours à redécouvrir pour que l’homme reste homme. Il y a une fidélité à avoir, un message à transmettre, par-delà de tout ce qui nous est connu : « Quelque chose existe et transparaît. / Cela traverse le Temps. / Cela traverse toute perte. / Dans les visages, dans les regards / dans les absences, dans les cœurs / cela revient, ô fusion // dans les reflets, dans les clairières de l’amour. »

C’est ce sentiment profond d’un souvenir et d’un appel qui rend si poignante la tension que l’on sent dans l’écriture d’Alain Suied, tout à la fois comme une nécessité psychique et comme une exigence spirituelle. Écoutons ainsi les derniers mots du livre : « Nous traversons l’exil d’un autre / nous portons le masque d’un oubli // à nous même inaccessible. // Non, tu n’as pas trahi / tu saignes la blessure d’un passé / sans parole et sans retour / alors que tu dois / chanter au diapason d’un rêve // à nous-même inconnu. »

♦♦♦   Sur ce livre, on pourra se reporter à la belle lecture de Gérard Bocholier dans la Revue des Belles-Lettres.

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2007 – ISBN 978-2-845-90107-0 – 13 €