Poème
Écrire, traduire, éditer ne sont en définitive que les aspects d’une même démarche. Un même travail sur une parole toujours à recréer : à traduire du silence, à traduire de la langue d’un autre, à traduire dans l’espace du livre. C’est ainsi que l’expérience intérieure et l’écriture sont intimement liées. Écrivain, traducteur, éditeur, Gérard Pfister a toujours vécu ces trois approches de l’écriture dans une étroite complémentarité.
Essayiste, il a publié récemment, après un ouvrage historique sur Marcel Weinum et la Main Noire (1940-1942), un livre intitulé « La poésie, c’est autre choses » –1001 définitions de la poésie (mai 2008) qui a été salué avec éclat par le Monde et le Magazine littéraire. Il est surtout l’auteur d’une douzaine d’ouvrages de prose et poésie. Après les proses de Naissance de l’invisible (1997) et des Blasons du corps limpide de l’instant (1999), un cycle nouveau a été inauguré par Le tout proche (Lettres Vives, 2002) et La Transparence (2005). Une langue plus radicale de nudité : musicale, sensible, aussi concrète que l’est la pure chimie des sensations.
On parle de « vie spirituelle », d’« intériorité », de « soi intime ». Tous termes qui à force d’avoir été utilisés avec différentes connotations religieuses suscitent une vague inquiétude. « Vie spirituelle », « intériorité » : qu’est-ce à dire ? Ne risque-t-on pas de verser d’un côté dans l’illusion narcissique et, de l’autre, dans la pieuse autosuggestion ?
Comment faire sentir ce qu’est cette dimension intérieure en nous sans référence spiritualiste ou psychologisante ? Comment l’évoquer tout simplement, à partir de l’expérience la plus élémentaire qui est celle de chacun, chaque jour ? Tel est le propos de cet ouvrage. En deçà des schémas intellectuels ou religieux habituels, au ras de la perception qu’en chacun peut avoir pourvu qu’il veuille bien rester dans cet état de lucidité aigu que nous éprouvons tous à certains moments de grand dénuement, de total détachement.
Il y a un pays derrière les yeux. Chacun l’éprouve. Chacun le sait tellement qu’il ne s’en étonne plus. Ce pays est une obscurité. Le lieu des souvenirs. Le lieu où survivent les choses de l’enfance et le visage de nos morts. Mais aussi par moment un grand désert. Une caverne froide et inquiétante. Un lieu d’inconnu et d’effroi. Un lieu d’où nous sommes comme absents. Mais aussi, parfois, le lieu d’une autre présence.
Comment faire sentir tout cela dans sa nudité, son évidence, autrement que par l’écriture poétique ? Où « poétique » ne veut dire qu’une manière de forcer les mots par un autre usage, de leur faire dire ce qu’ils ne voudraient pas dire. Eux qui ne sont faits que pour nos besoins matériels et sociaux de tous les jours, et pour oublier ce qui peut nous déstabiliser, nous mettre en danger : « quelque chose / appelle // derrière mes yeux // une vague / présence // un regard // plus sombre / que la nuit /// derrière mes yeux / il n’y a rien // que ce désir // une enfance / oubliée // sous le lierre // la terre / profonde // où je repose ».
♦♦♦ Sur ce livre, lire l’article de Marie-Claire Bancquard.
Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2009 – ISBN 978-2-845-90136-0 – 14 €