Le Séjour

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Après Le Vol du loriot (2005), Le Séjour est le deuxième livre de Jacques Goorma publié par les Éditions Arfuyen. Exécuteur testamentaire de Divine, fille du poète et philosophe Saint-Pol-Roux (1861-1940), et spécialiste de son œuvre, il lui a consacré de nombreux essais et travaux d’édition, notamment : Glorifications de Saint-Pol-Roux (Rougerie, 1992); Saint-Pol-Roux (Seghers, 1989) ; La rose et les épines du chemin de Saint-Pol-Roux (Poésie-Gallimard, 1997).

Il est surtout l’auteur d’une œuvre de haute qualité publiée chez de nombreux éditeurs. On se bornera à citer : Peau-pierre (H. Fagne, 1975) ; Nue (Rougerie, 1987) ; Signes de vie (Lieux Dits, 1994) ; Lucide silence (ibid., 2000) ; Parfois (Le Drapier, 2002).

Il ne s’agit pas ici d’un livre de poésie au sens où on l’entend d’ordinaire. Aucun recours ici à la magie du rythme et aux prestiges du lyrisme. Une langue nue, perdue dans la contemplation d’un objet bien présent et qui toujours lui échappe. Le Séjour : rien de plus simple, nous sommes ici, maintenant. Nous en faisons chaque jour l’expérience. Et nous savons bien aussi que ce n’est pas pour toujours. Que notre permis de séjour un jour expirera, pour un autre séjour plus mystérieux encore.

Car le séjour est mystérieux, comme tout ce qui est trop évident. Qu’est-ce que le Séjour ? Quel est cet ici, où il a lieu ? Quel est ce temps où il a cours ? Et qui est celui-là qui est ici «séjournant » ? Telle est la méditation de ce livre. En épigraphe du Vol du loriot, Goorma avait inscrit une phrase de Thérèse d’Avila. Ici c’est une remarque de Sherlock Holmes : «Je ne vois rien de plus que ce que vous voyez, mais je me suis entraîné à le remarquer. »

Le livre comporte huit parties, comme autant d’étapes dans l’approfondissement de cette unique méditation, obsédante, entêtante, comme on dit du parfum d’une fleur : Le séjour, Le souterrain, Le retour, La rivière, Le secret, Le regard, Derrière la porte, Le jour sait. Pas de digression, pas de relâche. Une attention droite, aiguë, sans faille. Et une écriture qui n’est que la fine pointe de cette attention.

Voici les premiers mots, qui nous dressent le décor, ou plutôt nous mettent de plain pied dans notre existence actuelle, quotidienne : « Le séjour de l’éveil est dans la clarté de l’esprit, dans cette lumière irradiant toute chose de sa présence. Toute chose n’a lieu qu’en son séjour. Partout circule l’énergie, aucune chose ne serait sans elle ; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu’une manifestation de cette énergie. Seul l’homme pense être quelqu’un, se détache de sa source jusqu’à l’oublier. »

Et, au terme de la méditation, quand Le jour sait, ces presque derniers mots : « Le jour dit à ses fils : la nuit, regardez mes sœurs les étoiles. Je serai parmi elles au milieu de vous. Je suis l’immobile plateforme, la capacité ouverte où le mouvement s’accomplit. Et les millions d’étoiles dans le ciel sont autant de jours. Et nos jours, nos jours sont au fil des jours autant de perles qu’un fil de nuit relie. Un point à l’envers, un point à l’endroit. Jusqu’à se rompre. Elles brillent alors, un instant, avant de rouler sous la table de l’oubli. »

C’est de nous que parle ce livre, de nous tous, si nous nous souvenions clairement avec Maître Eckhart, comme l’indique la dernière épigraphe, que tous « nous avons la connaissance immédiate de la vie éternelle ».

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2009 – ISBN 978-2-845-90135-3 – 12 €