Après L’Hespérie, pays du soir (2000), La Pénombre de l’or (2002), L’Abîme blanc (2005) et Comme un souffle de rosée bruissant (2006), ce nouveau recueil, Les Ténèbres de l’espérance, est le cinquième livre de Jean Mambrino que publient les Éditions Arfuyen.
D’autres collaborations avec Arfuyen ont eu lieu : ses traductions de Hopkins ont paru sous le titre Grandeur de Dieu (fév. 2005), il a préfacé le livre de Pär Lagerkvist, Pays du soir (oct. 2005), et Le Repos dans la lumière (février 2007) de Joseph Joubert dans la collection Les Carnets spirituels.
De livre en livre, Jean Mambrino se renouvelle avec une extraordinaire audace. Comme un souffle de rosée bruissant donnait à lire une parole ample et harmonieuse. Plus tendue certes que les longs vers comme extatiques de son précédent recueil L’Abîme blanc, mais animés d’une force sûre et sereine. Les Ténèbres de l’espérance sont le récit d’une descente en enfer. Et cet enfer est celui du manque d’espoir qu’il sent ronger notre temps, comme une maladie : « Que peux-tu saisir si tes mains sont de cendre, / tes yeux globules de poussière ? si leur rayon, / à peine allumé, n’est qu’un éclair éteint ? / La foudre de ta pensée faiblit avant / de naître, disent-ils, lumignon fragile, lueur / intermittente au sein de la poudre de ta chair. »
Pour dire cet univers de tristesse et de violence, la voix de Jean Mambrino devient haletante : sa respiration d’ordinaire si paisible procède par courtes saccades. Ses mots trouvent leur registre dans ceux de l’expressionnisme : « Ils rampent dans la boue, la bassesse de jouir / sans amour, tatoués par les signes obscènes / qui cachent leur changement de sexe, à travers / les fards où chacun se mire. Les corps miroirs / reflètent les mensonges de leur gaieté noire, / accusant le ciel vide des fêtes funèbres / auxquelles ils sont condamnés, forçats de la honte / et de la dérision. »
Plongée sans ménagement, sans faiblesse, dans le monde de l’aliénation et de la déshumanisation : « ‘‘Rien n’est’’, c’est le mot de passe / de l’esprit étouffé par la matière, / mâchant tout ce qui passe à sa portée. / Toujours plus d’engloutissement, / d’avidité. Elle ramène chacun / au même instant du rien. »
Mais toujours aussi, c’est au profond de cette désolation, au coeur même de ces ténèbres, qu’apparaît la lueur, que surgit l’humble miracle : « Une lueur palpite encore au creux / de l’âme qui appelle : Eli ! Eli !, / dans le silence assourdissant de l’hôpital / où une main essuie la sueur du sang. »
Et Mambrino, comme il le fait souvent, invoque pour témoins ces enfants prostrés par la maladie par qui pourtant se manifeste une paradoxale et merveilleuse espérance. Et le monde ne la voit pas : « Ils ne voient pas le drame / près d’eux, les myopathes aux yeux de lumière, / dont les noms sont inscrits dans les cieux. Hervé, / Anne-Cécile, Thibaut, Eugénie, François, / nimbés de douceur et de paix, membres rompus, / disloqués, sectionnés, sans bras, faits de prothèses, / serrés dans un étau de fer, laissant jaillir / de leur visage le mystère d’un regard / où le Beau invisible est devenu visible / en traversant une espérance inexplicable. »
Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2007 – ISBN 978-2-845-90112-4 – 12,5 €