Res rerum

CA 237 Albarracin

À moins de cinquante ans, Laurent Albarracin est l’auteur d’une œuvre déjà importante et d’une impressionnante rigueur. Inclassable pourtant, marquée tout aussi bien par une approche matérialiste que par un sens aigu du mystère du monde. Avec Res rerum, Albarracin prête à son écriture l’allure d’un petit traité d’alchimie, où se retrouvent à la fois le part pris matérialiste et un regard ésotérique, l’un et l’autre étroitement liés.

L’écriture d’Albarracin, par sa grande souplesse et sa discrète ironie, réussit comme sans effort à conjuguer les contraires et à transmette au lecteur un sentiment tout à la fois de profondeur et de légèreté. Ce faisant, Albarracin, avec une déconcertante radicalité, redonne à la poésie sa plus haute ambition d’interroger et de célébrer le réel.

« La tautologie est selon moi le sommet caché, impossible, de la poésie (…) Que la chose soit soi-même soi est le plus beau trésor, et le mieux caché qui soit, la plus grande évidence et le plus grand mystère. Tout le monde passe devant. D’où la chose tire-t-elle la ressource d’être soi, sinon de soi ? Mais comment fait-elle ? » (De l’image, 2007).

Ces lignes de Laurent Albarracin résument sa démarche, aussi simple que rigoureuse. Dans cette écriture, pas de facilités lyriques ni de procédés formalistes, mais simplement l’effort de rester au plus près des choses. Discipline féconde si l’on en juge par le nombre de livres qui constituent l’œuvre d’un poète publié chez de petits éditeurs, mais aussi bien chez Flammarion ou Rougerie.

Avec Res rerum, Albarracin pousse au plus loin sa quête paradoxale en la faisant entrer dans le champ de l’alchimie. Ce texte, émanant d’un prétendu « Collège de Réisophie », aurait, nous dit-on, été trouvé chez un bouquiniste spécialisé en ésotérisme : « Nous livrons simplement ce texte brut à la perplexité de tous. »

Vertigineuse méditation que celle-ci : « Ce qui fait la chose c’est qu’elle se répète / En ce seul exemplaire d’elle qu’elle est / Et que pour être encore elle insiste / À jamais une seule et unique fois, / Comme si elle était toute la chaîne / D’emblée de son infini processus. »

Mais tout aussi bien méditation loufoque : « Le rire borde les choses d’une toute petite rivière / Où s’en va l’écorce des reflets, le tain des écorchures. / Au bord des choses cette toute petite rivière / Mélange allègrement les poissons et les hameçons. »

Entre vertige et rire, l’étonnante poésie d’Albarracin.

♦♦♦   Lire les articles de Jean-Pascal Dubost et Pierre Campion

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2017 –  ISBN 978-2-845-90272-5 – 14 €