Rudiments de lumière

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En 2008 le recueil publié à l’occasion du Prix Jean Arp de Littérature Francophone avait pour titre Plus loin dans l’inachevé, faisant écho à son tout premier livre, Le Poème commencé (1969), et à son anthologie personnelle au Mercure de France, Dans la lumière inachevée (1996).

Il est frappant de constater la filiation du titre de ce nouveau livre, Rudiments de lumière, avec toute l’œuvre : toujours la « lumière » est à apprendre, toujours le poème est à recommencer. Aussi accompli soit-il, il n’est jamais que premier « rudiment », «approche », « esquisse », « entrée en échange », « introduction au large ». Le poète est un éternel apprenti du réel. À l’écoute de ce que cette présence mystérieuse semble tenter de lui dire. Sans pouvoir, sans savoir. Seulement à l’écoute.

Les poèmes, nous disent d’autres de ses titres, sont « pages d’écoute » (1986), « passages par le chœur » (1996), « mise en arbre d’échos » (1991). Il y a dans toute l’œuvre de Pierre Dhainaut, une extraordinaire continuité de vision de ce que peut et doit le poète. Nulle poésie ne manifeste plus de rigueur éthique dans l’exigence et l’humilité assignées à celui qui la sert.

Dans l’admirable discours de réception qu’il a prononcé à Strasbourg à l’occasion de la remise du Prix Jean Arp de Littérature Francophone, Pierre Dhainaut s’interroge sur l’unité de son œuvre : « Souvent je me suis demandé quelle est l’unité de tout ce que j’ai publié durant presque cinquante ans, voici au moins une constante : “commencé” , “inachevé ”, les deux adjectifs en témoignent, que je n’ai pas seulement employés dans des titres, écrire un poème, ce n’est pas aboutir à un résultat, c’est en effet accomplir la moitié d’un geste. Et peut-être est-ce alors que débute le plus important, le plus difficile, rester fidèle à l’ardeur initiale, m’ouvrir grâce à elle : ce mouvement-là, je me risque à le qualifier en me servant du nom de “poésie”.

« Telle est la grande question qui n’a cessé de m’inquiéter, le passage du poème à la poésie. Le poème n’en est un vraiment que s’il est l’épiphanie de ce qui le déborde. Ses mots ne vibrent, ils ne sont présents que s’ils sont prêts à se libérer de leur prestige même, s’ils aspirent à une autre présence. Ils s’effacent, semble-t-il, mais nous resterons dans leur aura. Une image le dira plus efficacement que cette explication maladroite : l’arbre n’est pas seul à s’épanouir dans la cour ou sur la colline, il a aimanté l’espace, nous n’avons plus à le voir pour trembler en lui. Au-delà du poème avec le poème, les frontières s’abolissent, nous réunissons la chair et le sens comme sur un visage, nous ne devenons les hôtes de ce monde que si nous sommes assez attentifs, frémissants, semblables ainsi à ces mots que le poème a rendus solidaires, délivrés de notre opacité, si nous avons perdu toute prétention de retenir, de posséder, si nous ne ménageons plus nos forces, si nous sommes insoucieux de la durée. L’arbre et le poème se ressemblent, et comme eux la vie plus vaste que la vie. »

Lisons les derniers mots de ce nouveau livre, Rudiments de lumière. Ils ne disent rien d’autre que cette humble, cette inlassable quête d’épiphanie : « Ils ne diffèrent pas de ceux qui les ont précédés, les poèmes qui surgissent très tard dans une vie, qui évoquent la mort, aucun ne se resserre autour d’un dernier mot, il n’y a donc pas de derniers poèmes : tous sont des portes, et nous les franchissons sans avoir même à prononcer la syllabe qui les attirait, dont ils étaient déjà la résonance, un oui plus grand que oui. »

Après Prières errantes (1990), Fragments et louanges (1993), Introduction au large (2001), Entrées en échanges (2005) et Levées d’empreintes (2008), Plus loin dans l’inachevé (2010), Rudiments de lumière est le septième recueil de Pierre Dhainaut que publient les Éditions Arfuyen, témoignage d’une profonde affinité.

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2013 – ISBN 978-2-845-90188-9 – 11,5 €