Sur le seuil invisible

Préface de Gérard Pfister – Image de couverture de Pierre Dubrunquez

Alain Suied est mort le 24 juillet 2008 des suites d’une longue maladie. Né le 17 juillet 1951, il venait de fêter son 57e anniversaire. En mai 2007, les Éditions Arfuyen, qui depuis vingt ans n’avaient cessé d’accompagner son œuvre, avaient publié son dernier livre au titre prémonitoire : Laisser partir. Le présent volume, Sur le seuil invisible, est le dixième recueil d’Alain Suied publié par les Éditions Arfuyen depuis 1989 (à quoi s’ajoutent les traductions).

Son parcours, commencé avec la publication de plusieurs de ses poèmes dans la prestigieuse revue L’Éphémère alors qu’il n’avait que 17 ans, suivie de deux recueils édités au Mercure de France sous le parrainage d’André du Bouchet, aura été d’un bout à l’autre exceptionnel. Poète, traducteur, essayiste, il laisse une œuvre d’une force, d’une originalité et d’une authenticité qui le placent parmi les plus grandes voix de sa génération.

Son œuvre poétique comprend 23 recueils, depuis le Silence (Mercure de France, 1970) et C’est la langue (Mercure de France, 1973) à l’Éveillée ( Arfuyen, 2004) et Laisser partir (Arfuyen, 2007). Il a traduit Dylan Thomas (Vision et prière et autres poèmes, Poésie Gallimard, 1991), William Blake (les Chants de l’Innocence et de l’Expérience puis le Mariage du Ciel et de l’Enfer, Arfuyen, 2002 et 2004), John Keats (les Odes, Arfuyen, 2009), Edwin Muir (le Lieu secret, L’improblable, 2002), mais aussi John Updike, Ezra Pound et William Faulkner. Ses essais concernent essentiellement l’œuvre de Paul Celan qu’il avait connu à travers André du Bouchet dans le cadre de la revue L’Éphémère et avec lequel il se sentait une profonde affinité.

Alain Suied a laissé de nombreux inédits qui seront publiés par les Éditions Arfuyen. À l’occasion de la première journée d’étude et d’hommage qui lui est consacrée par l’Université de Strasbourg le 7 février 2013 paraît un premier recueil posthume : Sur le seuil invisible.

Il s’agit de l’ensemble des textes qu’Alain Suied a écrits durant sa dernière année, se sachant condamné et ne pouvant plus en espérer la parution de son vivant. Afin de les faire découvrir à mesure de leur écriture, Alain Suied avait souhaité créer un blog et les y mettre en ligne. Ainsi l’œuvre se constituait sous les yeux du lecteur et de l’auteur, sans savoir où elle allait – ne devant se terminer qu’à la disparition de son auteur.

Le samedi 15 septembre 2007, à 10 h 38, Alain Suied poste un texte sur le blog qu’il vient d’ouvrir. Il est dédié à ses neveux Stéphane et Vincent : « Toutes les langues disparaissent / tous les monuments tombent en poussière / tous les regards se perdent / dans les galaxies de l’espace inconnu // pourtant tu dois écouter la poussière ».

Le dernier texte, un hommage à Léonard de Vinci, sera mis en ligne le 16 juillet, huit jours avant sa mort. En voici les vers ultimes, les derniers d’Alain Suied : « et il a eu la générosité / de nous offrir sans rature / le chiffre et le code, le rêve / et la vérité, les mains aimées / et ce regard sans trêve / qui toujours l’a hanté. »

Au tournant de l’année 2007-2008, il avait donné un titre à l’ensemble de textes ainsi apparu au jour le jour : Sur le seuil invisible. Titre étrangement révélateur de son projet, car ce « seuil invisible » pouvait tout aussi bien désigner l’écran sur lequel les textes immatériellement s’écrivaient que le terme au-delà duquel ils cesseraient de s’écrire. Ainsi cet ouvrage restera-t-il peut-être comme l’une des toutes premières œuvres poétiques qui ait eu pour support et pour ressort de sa création la mise en ligne quotidienne sur internet.

♦♦♦   Lire les articles de Gérard Bocholier et Max Alhau

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2013 – ISBN 978-2-845-90180-3 – 12 €