Vision

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Roger Munier est mort le 10 août 2010. Il était depuis leur origine, il y a 37 ans, l’un des auteurs tutélaires des Éditions Arfuyen, qui auront publié dix de ses ouvrages : Terre sainte, 1980 ; Éden, 1988 ; Requiem, 1989 ; Stèle pour Heidegger, 1992 ; Exode, 1993 ; Dieu d’ombre, 1996 ; Adam, 2004 ; Les Eaux profondes, 2007 ; Esquisse du paradis perdu, 2010. Geste symbolique, le n° 200 des Cahiers d’Arfuyen (le n°1 en 1981 était un texte de Guillevic) est consacré à son texte ultime : Vision. Arfuyen a publié en 1993 ses traductions de Silesius sous le titre L’errant chérubinique.

Après huit ans de formation chez les Jésuites, avec Jean Mambrino, Roger Munier avait renoncé à entrer dans la Compagnie de Jésus pour poursuivre des études philosophiques. Il était l’un des écrivains les plus admirés et les plus secrets de notre époque. Un colloque lui a été consacré en 2008 et un Cahier Roger Munier lui a été publié en 2010 aux Éditions Le temps qu’il fait, reprenant les actes de ce colloque ainsi que de très nombreux documents.

Dans sa grande maison du Lyaumont, près de Vesoul, en Haute-Saône, Roger Munier avait laissé sur sa table de travail une chemise contenant les textes d’un bref manuscrit intitulé Vision. C’est là que Jacques Munier l’a trouvé après la mort de son père. Pour présenter cet ensemble, il avait rédigé à sa manière méticuleuse une courte note : « D’abord lu, en l’absence de l’auteur, lors d’un colloque qui lui fut consacré à l’Université Jean Moulin Lyon 3 en avril 2008, Vision fut publié pour la première fois dans le Cahier XVII Roger Munier, au Temps qu’il fait, en 2009. Du Néant et Amen sont inédits. »

Un dessin de Pierre Dubrunquez était intégré dans le dossier pour servir d’image de couverture. Tout était prêt pour une publication aux Éditions Arfuyen, chez lesquelles était déjà en préparation un livre qui n’a malheureusement pu paraître que deux mois après sa mort : Esquisse du paradis perdu (collection les Carnets spirituels, octobre 2010).

Si l’Esquisse du Paradis perdu présentait un caractère testamentaire, Vision est, à n’en pas douter, le véritable testament spirituel de Roger Munier. Il y aborde de face ce qui a été l’unique objet de sa méditation, autour duquel il n’a cessé, tout au long de son œuvre, de déplacer l’angle de vue, jusqu’à en acquérir ici, si près d’y faire son entrée, la claire «vision » : « À vrai dire, note-t-il, on n’entre pas dans le néant. On le devient. Promotion sublime. »

Ce Néant qui lui était devenu si familier, Munier ose ici en faire le thème central de son propos. De quoi d’autre parler ? « Dans le monde fini, le Néant seul règne, masqué pour un temps. Dans ce qui est le temps. Sous les espèces du temps. » Le problème est pourtant que, par définition, il n’y a pas de mots pour le néant : « Le néant, on ne peut rien en dire, pas même le penser, et moins que Dieu. Signe qu’il est, de tout, la Chose la plus reculée, d’un recul suprême. » Tel est le paradoxe obsédant : « Le rien n’est pas rien. Mais il n’est pas non plus quelque chose. L’inverse du “quelque chose”. De tout l’inverse. »

Inutile donc de tenter le saisir : « On n’atteint pas le néant. On ne peut même tendre vers lui. Mais on en est touché. C’est lui qui parfois nous saisit, dans un vide saisissement. Un jour se saisira de nous ; dans la mort, sa main néante. » Nul effroi, mais une confiance toute abandonnée, nous pouvons nous en remettre à lui. Tels sont les derniers mots de ce livre, de cette vie : « J’évolue, ou cherche à évoluer, ne fût-ce que par instants, dans le Néant. Mais c’est le Néant de Dieu.»

Coll. Les Cahiers d'Arfuyen – 2012 – ISBN 978-2-845-90172-8 — 8,5 €