La lecture de Gérard Bocholier
Extraits de l’article sur Introduction au large paru dans la Revue des Belles Lettres en janvier 2002
« Tu t’obstines, tu retiens l’écoute », écrit Pierre Dhainaut dans Relèves de veilles. Son œuvre tout entière illustre cette phrase : patiente, obstinée, ouverte à ce qui dépasse le poème, lui donne air et souffle. Le poème pour lui n’est qu’une porte qui peut déboucher sur l’espace infini. Il lui prête ce qui vient du cœur et qui grandit l’homme. Le poème tâtonne, tente l’élargissement imprévisible. Intermédiaire entre notre existence resserrée et le grand large, il permet, par son ardeur généreuse, d’augmenter la vie, de la faire progresser. « Tu te sers de la parole afin de t’ajouter ».
Les vers, les notes sur la poésie se font écho chez Pierre Dhainaut, tissent, fragment après fragment, les mille mailles d’une tenture de vent. « De passage », le poète l’est sans doute plus qu’aucun autre. Et par lui tous les passages vers la lumière peuvent avoir lieu. Alors le poète peut écrire :
Comment se nomme
la force qui change
un cri en buée
la buée en lumière ?
farouche, prodigue,
on s’apprête à la suivre :
on ne craint pas d’obstacle,
il n’y a plus de cibles.
Poésie qui s’émerveille de ses pouvoirs et qui célèbre la parole « où nous sommes ensemble ». Poésie de l’accueil où toute naissance donne joie et confiance en l’avenir, au point que la mémoire semble toujours aussi jeune. Qu’elle se fasse aphorisme ou développement lyrique, l’écriture de Pierre Dhainaut se fonde sur une remarquable énergie et la conviction que le poème nous engendre, nous fait respirer pour les autres, le ciel, l’univers, et non pas pour nous-même. « Renonce à l’idée d’aller jusqu’au bout, d’achever, tu mèneras le poème là où il te mène. Il est ton enfant, tu es le sien plus encore. »
Ce beau parcours qui commence avec le Surréalisme et que Pierre Dhainaut a rappelé dans un volume d’entretiens avec Patricia Castex Menier, A travers les commencements (Paroles d’Aube, 1999), a quelque chose d’exemplaire. Il reste fidèle à l’idéal de libération qui a inspiré les grands voyants du XX° siècle, mais il emprunte, et c’est là sa singularité et sa lisibilité, d’humbles sentiers de campagne et de bord de mer, en sachant rester le compagnon de tous les autres. Ivresse et lucidité alternent ainsi, comme à l’image de la pensée du poète d’aujourd’hui :
… Tu ne cesseras pas
de t’étourdir, d’être lucide : poursuivre à ce rythme,
entrer à son gré dans le passage inapaisable,
l’éphémère en s’y ressourçant
te ressource avec lui.