La lecture de Jean-Yves Masson
Extraits d’un article sur Le Retable d’Issenheim paru dans Résurrection en décembre 1987
Le chef d’œuvre de Grünewald conservé au musée de Colmar, trésor artistique de la foi chrétienne, a inspiré à Margherita Guidacci, poète italien, née en 1921, une admirable suite de poèmes fervents et simples écrits en 1977.
Peu après la parution aux éditions Obsidiane du recueil Le sable et l’ange traduit par Bernard Simeone, Le Retable d’Issenheim est livré au public français en édition bilingue par le poète et traducteur Gérard Pfister, qui dirige les éditions Arfuyen et défend l’œuvre de M. Guidacci en France depuis 1977.
On n’est pas très étonné d’apprendre, au détour d’une notice autobiographique rédigée par l’auteur pour cette édition à la fin du volume, que Margherita Guidacci a traduit en italien les poèmes de Karol Wojtyla. Il serait assez vain de commenter ici Le Retable ; contentons-nous de dire que les poèmes rassemblés sous ce titre décrivent le retable non à la façon d’une transposition d’art mais pour rendre compte de l’expérience humaine que fut pour l’auteur la rencontre avec cette oeuvre.
L’épilogue contient un très beau poème à Mathias Grünewald où l’auteur interpelle la figure tutélaire du peintre lui-même, non sans se souvenir du personnage principal de l’opéra de Hindemith Mathis der Maler (Mathis le Peintre) inspiré d’une rêverie sur le personnage énigmatique que fut Grünewald. Apprendre à regarder en face le retable, dont la puissance effraye, tel est le parcours de ces poèmes qui semblent trouver une sorte de suspension sereine dans La Fontaine, ultime texte qui interroge l’inachèvement de l’œuvre : « Ta fontaine, jamais achevée, et à présent / avec toi perdue dans la nuit ! Toi seul / en connais le secret, toi-même tu es sa coquille, / l’oreille tendue à une écoute sans fin».
Ce livre, bien présenté, et magnifiquement traduit, est le vingt-huitième cahier d’Arfuyen. Dans notre dernier numéro, nous signalions à nos lecteurs la réédition d’un texte de Bérulle par cette maison, fondée en 1975 par Gérard Pfister, et qui doit son nom à une maison de berger de Malaucène où il rassembla artistes, écrivains et traducteurs de ses amis. Les éditions Arfuyen publient des textes à caractère essentiellement poétique qui témoignent, au sens large, d’un souci de la dimension « spirituelle » de l’écriture.
Roger Munier, traducteur de Juarroz et directeur de la collection Documents spirituels chez Fayard, a publié chez Arfuyen une adaptation tout à fait belle du mystique allemand Angelius Silesius, La rose est sans pourquoi. L’an dernier, les éditions Arfuyen publiaient Dieu caché, six cantiques et un sermon de Jean Tauler, dominicain strasbourgeois du XIVe siècle, Arfuyen propose également des textes arabes, japonais… et témoigne d’une profonde attention aux spiritualités, à leurs concordances aussi bien qu’à leur spécificité. Les cahiers publiés par Arfuyen peuvent être commandés chez Distique par les libraires ou au siège parisien dont nous donnons l’adresse.