Un article de Gérard Pfister sur L’Horloge de Bologne paru dans La Vie spirituelle en mars 2000
« Le 2 août 1980 au matin, écrit Margherita Guidacci, un terroriste inconnu déposa à la gare de Bologne une valise remplie d’explosif. L’explosion eut lieu à 10 heures 25 : à cette minute précise les aiguilles de l’horloge de la gare s’arrêtèrent et cette image, reproduite dans tous les joumaux, devint comme un symbole du terrible événement. »
Trois mois après le massacre, Margherita Guidacci se trouve à Bologne. C’est le Jour des Morts. « Le 3 novembre, je fus réveillée par un silence étrange. J’ouvris la fenêtre et vis les toits recouverts d’une épaisse couche de neige. Tandis qu’immobile je contemplais ce spectacle inattendu me revint en mémoire la demière page des Dubliners de Joyce, cette neige qui tombe “sur tous les vivants et sur tous les morts”. Et à ce moment mê¬me me vint le désir de composer un Requiem pour les personnes qui étaient mortes dans cette ville.»
Dans cet attentat, le plus meurtrier qu’ait connu l’Europe, Margherita Guidacci voit une nouvelle et terrifiante figure de son siècle, ce XXe siècle qui, à travers guerres, goulags et génocides, a porté la violence jusqu’à des extrémités encore insoupçonnées : « Les morts maintenant sont en paix / mais pour les vivants sans justice peut-il être une paix ? ». Requiem pour ce siècle, requiem pour une histoire tout entière marquée par l’héritage d’un même mal, depuis l’assassinat d’Abel jusqu’au supplice du Christ et jusqu’à nous : « De la première étoile de sang naît tout un firmament. »
L’un des plus courts recueils de Margherita Guidacci, L’Horloge de Bologne est sans doute celui où sa vision et son écriture atteignent à leur plus grande amplitude. L’extraordinaire intensité des poèmes de Neurosuite, entièrement centrés sur la souffrance de la maladie mentale, s’y conjugue avec l’âpre lyrisme du Retable d’Issenheim, qui fait lui-même écho aux impitoyables évocations de Mathias Grunewald.
Un autre cycle suivra, biens des années plus tard, dont la figure centrale ne sera plus, cette fois, le Prophète – ce « Prophète sans nom » qui médite et pleure sur l’histoire des hommes –, mais, plus inquiétantes encore, les Sibylles, nocturnes et imprévisibles, si proches du mystère intime du poète « comme un fil mystique cousant ensemble deux règnes, / et dans ses lentes spires / enfermant les vivants et les morts ».