Sur « Le Tigre absence »

blanchet

La lecture de Marc Blanchet

Extraits d’un article sur Le Tigre absence paru dans Le Matricule des Anges de septembre 1996

 

Sur la couverture du livre : une photo, un visage singulier, à la fois décidé et songeur, un visage qui semble issu d’un autre siècle, qui porte sur lui les signes d’une noblesse fragile. C’est le visage de la poétesse italienne Cristina Campo, auteur d’un seul livre de poèmes : Le Tigre Absence.

À la lecture de l’ouvrage, une vérité émerge, qui confirme celle impression de rareté et d’intemporalité. La poétesse, née en 1923 sous le nom de Vittoria Guerrini, paraît comme aussi d’un autre temps à travers ses poèmes. Non pas que son style soit une imitation de Pétrarque ou de Dante mais parce que les thèmes, d’amour, de dévotion, de contemplation qui l’embrassent convoquent à une vision du monde épurée de tous les accents de la modernité, de tous ses repères, de tous ses présages. (…)

Le titre du recueil est un des plus beaux poèmes du livre. En quelques vers, où règnent la peur et l’amour, émane la quintessence de cette poésie : « Hélas le Tigre, / le Tigre Absence, / ô mes aimés, / a tout dévoré / de ce visage retourné / vers vous ! Seule la bouche / pure / encore / vous prie : de prier encore / pour que le Tigre Absence, / ô mes aimés./ nee dévore la bouche / et la prière… ».

Les poèmes de Cristina Campo s’acheminent vers une mort inéluctable : trop d’amour invécu, ne trouvant d’expression que dans la contemplation des édifices religieux ou dans la mémoire des auteurs illustres de l’Italie et de la Grèce, crée un dépérissement de l’auteur. La vie s’épuise. rend le corps exsangue à force d’admiration et de dévotion. Le poème s’abreuve de cette force perdue et c’est à un récit qu’assiste le lecteur, dans la résonance singulière des termes religieux, dans l’ordonnance des rites et des prières.

Cristina Campo, qui connut le soutien du grand poète italien Mario Luzi, parvient à écrire des poèmes où l’extase est tout, quitte à être vampirique. Ce destin échoue sur la page, les mots sont de la couleur du sang, aussi purs que des lettres d’enluminure. (…) Comme beaucoup de poètes qu’il ne faut pas trop vite qualifier de « mystiques », Cristina Campo s’est approchée de la Source : elle en est ressortie brûlée, laissant comme traces de son passage des poèmes aux couleurs d’or et d’azur, des poèmes aux couleurs de l’éternité.