La lecture de Didier Ayres
Extraits d’un article sur Tracé du vivant paru dans La Cause littéraire le 2 juillet 2016
Comme j’essayais d’aborder ce livre reçu il y a peu, j’ai cherché une manière originale de l’atteindre. Pour finir, j’ai agi tout simplement en considérant la couverture. Car ce Tracé du vivant s’ouvre sur un fac-similé d’une partition manuscrite d’Alain Bancquart, l’époux de la poétesse. J’étais ainsi déjà d’emblée en compagnie d’une écriture sobre et élégante. Mais, pas seulement, car cette lecture du recueil que publie Marie-Claire Bancquart dans la collection des Cahiers d’Arfuyen, cette année, recèle de grandes questions métaphysiques, essentiellement sur le temps et la mort.
D’ailleurs ce goût de mort pousse à la sagesse ; là, l’écoulement du temps revient à observer le temps qui passe, heures, jours, années, saisons qui se reflètent et s’entremêlent au point de laisser le poème encore assez ouvert à la vie – comme l’y invite Levinas par exemple, au sujet de soi, d’un soi-même étant toujours ouvert, jusqu’à la blessure, jusqu’à autrui. « Un tapis bien opaque / bien élastique / d’aiguilles de pin : / accroupie / je l’écarte d’un doigt / jusqu’au sol ferme / et je hume / comme à l’intérieur de fourrures / l’odeur ancienne / énigmatique / de ce qui respirait, et garde trace du vivant. »
Cette sagesse (de forme gréco-latine), cette fatalité du mourir, pousse à aimer le présent, à lui conférer une aura sacrée, car cette inquiétude devant ce qui fuit inéluctablement, aide à laisser une empreinte. « Trous noirs, antimatière ? / – Sujets à destruction. / Einstein ? / – Remis en cause. / Certitude en tout cas : la Terre, qui vieillit, va mourir / comme nous, / après nous. »
Mais cette mort et cette vie qui s’adosse à elle, n’est pas qu’une matière inerte et sans signification. Non, et même si le recueil s’ouvre sur ces deux vers « Je ne crois pas au ciel / comme séjour des bienheureux », il faut comprendre ce livre comme on le ferait d’un vade-mecum spirituel, qui apprend à vivre, donc à mourir et à souffrir du temps qui passe, autant symboliquement que physiologiquement. […]
Et puis, surtout, l’atmosphère ductile, fragile et très forte d’une écriture qui glisse parfois du vers à la prose, chemine de la forme courte vers des poèmes plus développés, ou des polyptyques, formant un répertoire riche pour un imaginaire très profond. Et tout est rédigé dans une langue qui s’énonce clairement, et qu’il nous est si doux à nous, lecteurs, de comprendre. « Les mots je les écris depuis la rive de ton corps. / Afflux de sang chaleur / de se presser l’un l’autre / désir qui enfle / chien et loup, merle et chèvre / sont nos cousins. / Nous oublions le dieu / qui nous forma sur terre après / la pomme interdite, le serpent séducteur. / Nous devenons fragments des dieux anciens / envahis / par la chaleur d’amour, / taureau, centaure, aux amantes humaines, / laurier au cœur battant qui recouvre Daphné, / tout ce qui mélange les souffles, donne une fête folle / dans le grand lit du monde, sans entrave. »
Nous sommes associés à la poétesse dans sa quête du provisoire, du labile, de la fragilité de l’existence, rebelles cependant, mais surtout étonnés par le mystère, simples comme des enfants, attachés à souffrir autant qu’à témoigner. Donc, cette poésie du vivant, qui est tracée depuis le vivant et qui dit le vivant, creuse un sillon fécond dans nos esprits contemporains si avares de pensées métaphysiques. […]
Pour finir ce tout petit état des lieux poétiques de ce beau livre, je soulignerai le goût pour l’été, pour l’été idéal – comme le préconise Yves Bonnefoy – le goût sucré de l’abricot écrasé, des chemins parcourus sur des aiguilles de pins, ou encore le long de la mer violette. Cet ensemble imagé et lyrique est à la fois chantant et sobre, grave et savant, lumineux et complexe, profond, entièrement inscrit néanmoins dans notre époque, assez pour nous permettre d’entendre la voix claire de la poétesse qui se coltine un sujet très fort : la mort, et rend cette dissertation intérieure à elle-même, sans fard.