La lecture de Jean-Luc Wauthier
Extraits d’un article sur Fragments et louanges paru dans le Journal des poètes en 1994
Voici une voix. Une voix certes aimée, écoutée, livrée, pour évoquer un vers de Gaston Puel, à la parcimonieuse attention de quelques lunatiques. Une voix dont on peut toutefois déplorer qu’il subsiste autour d’elle une demi-pénombre injuste, alors qu’elle est une des plus belles et des plus accomplies de la poésie française d’aujourd’hui.
Il est vrai que, à ma connaissance, Pierre Dhainaut ne tient aucun de ces « leviers du pouvoir » dérisoires qui fascinent tant de poètes cyniques et lilliputiens . II est vrai, aussi, qu’il habite loin de Paris (à Dunkerque) et qu’il n’en fait pas une pause d’intellectuel fatigué . Passons … passons et lisons .
Lisons, par exemple, deux minces publications récentes, qui vont à l’essentiel : Sources sonores et Fragments et louanges. En critique littéraire, on use, aujourd’hui à tort et à travers du mot « essentiel ». Avec son jumeau, « incontournable » , ces deux vocables sont les Laurel et Hardy de la cuistrerie bien-pensante .
Alors, prouvons nos dires : Fragments et louanges est publié chez Arfuyen, une référence dans l’ordre de l’acuité et de la dignité éditoriales. La poésie qui vit et tressaille dans ces pages est faite d’une manière de balancement onirique rigoureux, où le regard oscille de l’homme intérieur et de son Jeu secret aux paysages du dehors dont à chaque moment, le poète goûte toute la substance. Pas d’intellectualisme, mais de l’intelligence ; chez Dhainaut, c’est l’interrogation existentielle qui suscite et entraîne la magie, à la fois du climat et de l’écriture poétiques. Les choses vont d’elles-mêmes, avec une évidence lumineuse, la poésie se faisant souffle, respiration vitale
Retourne entre les murs de ces chambres profondes
En fermant les yeux comme en écoutant
y sommes-nous les premiers à surprendre
cette respiration qui traverse nos membres
et les oblige à tressaillir ? Que nous réclame-t-elle ?
Ne plus dire la pierre étroite, épaisse,
dès que tout semble se contraindre, ne plus dire la mort
Bien. Voici donc un poème dont on a envie de parler, à partir duquel, aussi, on a envie de rêver, de se taire Peur être parce que s’y découvrent, dans un même mouvement, écrivain et lecteur, l’un et l’autre passant, en subtils adagios formels, de la lutte à la résignation, des ombres du passé aux lumières de l’avenir, du jour à la nuit avec !e souci de ne pas décevoir l’inconnu quand rien ne limite l’attente.
Fragments et louanges, c’est une alliance heureuse de réalisme et de magie, au cœur d’un réel à la fois interpellé et dénombré, le tout avec une manière de sérénité crispée qui, peut-être, constitue la marque la plus évidente du « style », du « climat » Dhainaut (des mots qui vont mal au pur poème puisqu’ils en blessent la transparence mais que j’emploie faute de mieux ).
Chaque année plus longue, la fin de l’hiver
De cri en cri nous redoutons de suivre les mouettes
qui assaillent la ville, les portes n’y font rien, fermées,
ni les corps repliés. On ne respire que pour soi.
Petite fille, pas même un an, tournée vers la lumière,
pour la première fois nous lui désignons les oiseaux
et tout de suite elle avance les mains comme le souffle
et sur la vitre chaude, que devons-nous dire ?
palpite ou résonne un ciel aussi bleu que ses yeux.
(…) Il ne faudrait pas prendre Dhainaut pour un poète « savant », encore que son savoir poétique intuitif soit remarquable. A ce sujet, il s’est, au reste, idéalement exprimé dans ces trois vers de Fragments et louanges :
Un jour entier qui se voue à la marche,
et le soir la maison résonne
aucun langage n’est obscur
Poètes, jeunes ou moins jeunes, qui voulez partager le Gai Savoir de cet homme du Nord, ses nuits lumineuses et transparentes, vous savez ce qu’il vous reste à faire : tout est affaire d’accueil, de magie et de partage, trois vertus cardinales du vrai poète.