La lecture de Jean-Claude Walter
Extraits d’un article sur le Carnet blanc paru dans la Revue alsacienne de littérature en janvier 2003
Un homme de la parole. De cette musique en nous. Une conscience – celle de l’Alsace littéraire, culturelle, transfrontalière. Un encyclopédiste européen. Un écrivain ouvert à toutes les formes d’art, aux civilisations, aux sciences comme à la poésie. Un homme de parole, animé de cette passion créatrice « qui déborde toutes les frontières, tous les pays, toutes les langues. »
Tel, Alfred Kern, tout du long des 150 pages de ce chant d’amour et de mort. Les premiers mots « mourir dans la clarté », nous disent l’impitoyable lucidité, en même temps que le sens d’une quête entreprise d’abord à travers le roman, puis la poésie, à l’aube des années 50. Écrire, que ce soit Les voleurs de cendres, ou le Point vif, c’est chercher le sens de la vie, donner un sens à sa vie et à celle des autres. Tout le reste est littérature…
C’est dire que sa parole écrite, dans ce Carnet blanc, est cernée au plus près, de la conscience comme de l’inspiration : « un moment musical s’exalte à la fois irréel et audible, telle une musique qui voudrait embrasser les reliefs de la mémoire. » Depuis les années de la guerre, l’enfance à Schiltigheim, les études et les balades à Strasbourg ou à travers l’Europe, la création littéraire et les écrivains à Paris, le refuge de Haslach, au-dessus de Munster, et la méditation, la feuille blanche, le dialogue avec les mots.
Ainsi, dans ces pages lumineuses, les poèmes se déroulent tels des phylactères – au sens ancien – d’un radical inventaire du monde, celui de Kern, la nature, les images fondamentales, en même temps que notre propre approche de l’univers. Ce récitatif, serré jusqu’à cette « ligne des crêtes » qui revient comme un leitmotiv, prend aussitôt le ton du dialogue avec les proses, dans la vibration du ressouvenir aussi bien que dans la réflexion la plus aiguë, la clarté d’une métaphore. À travers chaque phrase affleure cette profession de foi : conjuguer le silence avec la mémoire – celle des livres comme celle des sens.
Oui, Philippe Jaccottet a raison de nous inviter à relire Alfred Kern, le visionnaire, le réaliste, le chantre de l’amour, « une conscience prise sur le vif ». Un inestimable écrivain.