La lecture d’Antoine Emaz
Extraits d’un article sur Ce n’est que l’enfance paru dans la revue CCP en janvier 2006
On mesure une nouvelle fois par ce livre avec quelle constance la poésie de Vargaftig orbite autour de l’enfance. Ce n’est pas tant tel fait qui importe que la puissance de l’impact dans une conscience d’enfant, au point que reviennent les termes de « frayeur », « stupeur », « terreur » pour tenter de nommer l’émotion vécue.
« Le récit est-il insaisissable ? » Oui, parce que ce qui a lieu, c’est « Cela avant les mots ». Et la mesure exacte du vers de Vargaftig, ses suites de quatrains non rimes, voilà l’outil qui va permettre à l’adulte de dire sans dire ce qui continue d’appeler au plus intime de cette mémoire où le mouvement de retour peut être aussi facile que celui de l’effacement. « L’ensoleillement la / Vitesse où la vitesse s’ouvre / Un mouvement un mur une ruelle / Dans un cri avant d’être nommés ».
Prendre de vitesse la mémoire et advenir à la parole comme pour sortir de la peur et de la contradiction entre devoir taire et devoir dire : « Frayeur respirée / Venue de l’été comme ce qui est tu / Comme de l’enfance où l’enfance / Appelle dans les dévalements ».
Le livre-DVD [qui paraît en même temps aux Éditions Au diable vauvert] est riche dans la mesure où il met l’œuvre et l’homme en perspective : le film est constitué de dialogues avec Cécile Vargaftig, de lectures, et de plans de nature. Le poète revient sur son passé (« Mon enfance, elle est au présent, pas au passé »), la guerre, ses racines juives (la scène au cimetière est émouvante avec le train de banlieue qui vient rayer l’espace et indique qu’il n’y a pas d’arrêt de l’histoire), l’engagement politique (« il n’y a pas d’artiste qui soit dégagé »)…
Mais il y a aussi tout le travail d’écrire : une très belle scène de tâtonnement exact autour du vers « Comme rien ne s’approprie de lilas », ou bien l’éloge à trois maîtres (Reverdy, Jouve, Hugo), ou bien encore le bonus sur Vargaftig « champion de France du hiatus »… Il y a une gravité tendre dans ce film qui fait vivre un poète à son rythme, pour aboutir à : « La question est : comment tenir debout dans ce monde ? »