La lecture de Jean-Claude Walter
Extraits d’un article sur Le grand silence paru dans Élan en février 2011
Sous le titre Le grand silence, Gérard Pfister nous offre sa nouvelle série de poèmes. Dans la manière de son précédent volume, Le pays derrière les yeux : une litanie de vers très courts –parfois un mot ou trois – qui forment un chant unique, ici appelé oratorio. Et c’est, dès la première page, le leitmotiv du livre : « mes morts / sont derrière moi », repris plus loin par « mes morts / me portent ».
Neuf séquences longues, sans majuscules ni ponctuation, entraînent le lecteur toujours plus avant – comme si l’invocation ne devait prendre fin. Question de généalogie propre à chacun, la famille, les silencieux ou les témoins, la foule de la parentèle, ou celle de l’humanité entière… Ainsi, parlant de ces morts : « c’est le grand silence / qui nous porte », et : « je suis leur enfant / leur témoin / je suis leur étrave ».
Voici que le récitant creuse son sillon, toujours plus loin, « comme la bête de labour ». Et c’est le sang, le lignage, l’échappée vers la lumière, en une quête sans cesse recommencée – vers le dire vrai, la conscience, l’éthique d’une méditation toujours plus ardue. Dont les morts sont les fidèles qui nous laissent « leurs mots / en héritage », et « les pères / de mes pères » dit le poète, forment la cohorte des garants de ce grand silence sans quoi nos paroles ne seraient que vaines fumerolles.
Dans l’une des dernières pages de ses Papiers collés, Georges Perros note justement : « Déferlement des morts. De mes morts. De mes amours, amis, muets à jamais. Non, ce n’est pas une consolation. » Gérard Pfister ne dit pas autre chose, en ce drame lyrique nous offrant les stances de cette « représentation du l’âme et du corps » – à la manière de Cavalieri dans son oratorio, à Rome, en l’année 1600.
Dans la lignée du Pays derrière les yeux –l’enfance, la nuit, le souffle –, voici que l’interrogation haletante se poursuit, où les morts sont pris à témoin – nos compagnons et confidents – pour un même cheminement, « à vive peine / de grand ahan », car toujours « notre désir / nous porte » vers ce plus de lumière que nous proposent la prière, la méditation, ou bien la poésie. Lorsque spiritualité et littérature se confondent, se tiennent et se conjuguent…