Pour Alfred Kern

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Le témoignage de Patrick Kéchichian

Extraits de l’hommage à Alfred Kern paru dans Le Monde en septembre 2001

L’écrivain d’origine alsacienne Alfred Kern est mort à l’hôpital Saint-Joseph de Colmar mercredi 12 septembre, à l’âge de quatre-vingt-deux ans.

Né le 22 juillet 1919 à Hattingen, en Allemagne, il passa son enfance dans la banlieue de Strasbourg, ville où il fit ses études. Inscrit au grand séminaire, il suit le cycle de philosophie, d’abord à Strasbourg, puis à Clermont-Ferrand, dans les années de l’immédiate avant-guerre.

En 1947, il devient professeur à l’École alsacienne. Avec Marcel Bisiaux, André Dhôtel et Henri Thomas, il fonde la revue 84, qui se place sous l’influence d’Antonin Artaud.

En 1950, il obtient le prix Fénéon pour son premier roman, Le Jardin perdu, publié chez Minuit. De 1952 à 1961, cinq de ses romans paraissent chez Gallimard. Le prix Renaudot récompense l’un d’eux : Le Bonheur fragile (1960). Ce long monologue intérieur, qui relève du réalisme poétique, est « à de l’image des buissons épineux et enchevêtrés, mais écIairés comme eux par de grandes trouées lumineuses », écrit alors Jacqueline Piatier dans Le Monde.

Quatre ans plus tard, Le Viol confirme l’inspiration tragique du romancier, exprimée dans une langue dense et parfois obscure. Giono et Claude Simon sont évoqués par la critique.

Ses amitiés littéraires vont alors vers Pierre Klossowski, Marcel Arland et André hôtel. Gérard Pfister, qui fut, chez Arfuyen, le dernier éditeur d’Alfred Kern – deux recueils de poèmes : Gel & Feu (1989) et Le Point vif (1991) – souligne combien cette œuvre « se tient dans un étonnement perpétuel ; l’esprit d’enfance ne l’abandonne jamais : un sens aigu de la dérision et du grotesque mêlé d’une profonde mélancolie »

Marqué par la mystique rhénane, Kern abandonna le roman pour se consacrer à une méditation plus libre. Contemplant la vallée de Munster du balcon de sa maison, il écrivait : « Je me nourris d’images sensibles, musicales. Une respiration lente et libre, comme si les motets des temps disparus recouvraient, à défaut de flux, le carnet d’écriture. Un désir constant d’être en contact avec le soi et l’air. »