Sur Notes

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La lecture de Jean-Pierre Thibaudat

Extraits d’un article sur Notes paru dans Libération en août 1979

 

Depuis la fin des années 50, Raymond Depardon voyage à l’intérieur d’une caste : celle des photo-journalistes, des agences (Dalmas, Gamma, Magnum, … ) . Au delà de la simple photo de presse, de Brigitte Bardot aux maquis du Tchad, il engrange. Une Ethnologie de l’immédiat. Il filme aussi : la campagne de Giscard, la naissance du Matin (qui passait ces jours-ci non sans mal au Festival de Lille). Après Chili et Tchad, il vient de publier Notes. Des photos-texte d’un homme timide, épris de doute, soucieux d’intégrité. On avait envie de la connaître, il avait envie de « faire le point ».

Des vaches. Il n’avait su photographier que les vaches de la ferme de ses parents. Un photogaphe free-lance avait répondu à sa lettre par ces simples mots : « Venez me voir ». L’inconnu est là, devant lui. Louis Foucherand demande, sans douter de la réponse. « Vous êtes paysan ? » Le jeune garçon, empourpré, répond : « Non je suis cultivateur ». Il est néanmoins engagé à l’essai, comme assistant photographe, à 35 000F par mois. C’était en 58, la France se coiffait d’un fameux képi, Raymond Depardon découvrait Paris, via Villefranche sur Saône, 15 ans d’enfance à la ferme, un coin de grenier transforme en labo, six mois d’apprentissage chez un boutiquier-photographe et un regard clair sous le teint légèrement sanguin qu’il pose, étonné, sur un téléphone, se demandant comment cela peut bien fonctionner.

Non ce n’est pas le début d’une dictée à la manière de Gaston Bonheur ou Henri Bordeaux, mais celui d’une histoire, captée vingt ans plus tard quand paraît Notes (Editions Arfuyen, 84340 Malaucène), au détour de l’été.

Notes. Un modeste cahier bistre, format écolier. Quelques photos et mots rapportés d’une guerre 78 au Liban et en Afghanistan. Le carnet de bord d’un photographe en terre d’incertitude qui mitraille la guerre et frôle la mon parce qu’il a choisi cette fois dise mettre volontairement en danger et que c’est, il est vrai, son métier. Un livre, comme l’on dit, bouleversant, mais aussi un nom souvent lu à la lisière d’un cliché paru dans Libération ou ailleurs, mais encore l’un des fondateurs de l’agence Gamma.

Bref, deux et même trois choses autour de la photographie qui donnent l’envie de connaître un visage et le temps de quelques cassettes d’en faire bavarder la vie. Raymond Depardon aussi, ces jours-ci, avait cette envie, ça tombait bien.

Nous nous sommes retrouvés dans son atelier-appartement, clair et nu. Face à face serait
beaucoup dire puisque sans cesse son regard deux après-midi durant, se dérobe et file le long des murs où aucun meuble n’entrave le parcours, sinon un frigo, quelques lits sous et sur une loggia, des classeurs à négatifs, un calendrier japonais et une table de bois où tourne le magnéto. Un espace du passage, une salle d’attente entre deux voyages (cette fois l’Italie et la province), une intimité en fuite où les mots dits viennent comme jeter l’ancre dix fois, vingt fois dans le sable brouillon d’un flashback en doute constant.

Depardon aura mis vingt ans pour aller de Dalmas à Magnum et un peu plus pour revenir à la ferme de ses parents. A passer des vaches de ses premières photos à ce qu’il « oubliait » alors de photographier : les granges et les engins, les voitures, les gens. La vie qu’il suffit de cadrer. En y laissant sa trace. Quelque part en France. Ou en Afghanistan dans un village de bûcherons équipés de vieux fusils anglais. Un peuple en guerre, un photographe en reportage, une page de Notes : « Faire un film sur la ferme de mon père, très court : les objets, la lumière ».