Sur Le Grain de sénevé

 

dubrunquez

La lecture de Pierre Dubrunquez 

Extraits d’un article sur Le Grain de sénevé paru dans Poésie 88 en janvier 1988

 

Le seul connu du grand mystique rhénan, un petit poème spirituel de huit strophes composé en ancien allemand, « un chant qui n’en appelle pas d’autres et se clôt sur cela même dont il procède », ainsi que l’écrit Alain de Libera, son traducteur et présentateur, tel est le texte, un des sommets de la poésie médiévale, que nous propose la dernière livraison d’Arfuyen.

Nulle intention érudite chez Gérard Pfister, son directeur d’origine alsacienne qui nous offre régulièrement les témoignages de la tradition spirituelle autant que poétique fécondée par le Rhin (Tauler, Eckhart, Silesius, mais aussi Roger Munier, Yvan Goll, Hans Arp, Nathan Katz). Mais le souci, plutôt, de donner à entendre ce qu’une expérience des plus intérieures peut avoir à nous dire, lorsqu’elle s’exprime dans l’âpreté d’une langue restée vivante et par l’évidence du poème :

Ô mon âme
Sors ! Dieu, rentre ! 
Sombre tout mon être 
en Dieu qui est non être, 
sombre en ce fleuve sans fond !

Chef-d’œuvre de poésie érudite, certes, où s’exprime une doctrine, celle de la théologie dionysienne, aliment d’un long commentaire latin ici reproduit. Mais où une âme, surtout, abandonnant la langue des clercs, entre soudain dans la nuit du savoir pour offrir à son Dieu (et à nous) la nudité de son chant.