La lecture de Françoise Han
Extraits d’un article sur Le pays perdu paru dans Europe en janvier 1998
Le nouvel ouvrage d’Alain Suied se situe dans la lignée des précédents, celle d’une poésie philosophique qui s’interroge sur notre place dans l’univers. De questionnement en questionnement, Alain Suied s’approche, non de la réponse – ce serait la fin de la poésie – mais d’une vision plus ouverte, d’une condition humaine allégée.
Ce volume comporte deux parties. Au Sommes-nous au monde ? qui donne son titre à la première, le poème IX répond en hésitant « Peut-être », le poème XI ajoute : « Est-ce que nous vivrons dans le monde / ou dans son absence ? » Le manque, l’absence, loin d’être des notions négatives, portent tout le livre :
Mais dans le manque
seulement tu rencontreras
l’autre
Mais dans son absence même
tu rencontreras l’autre
C’est en eux que l’être humain – Alain Suied tantôt dit « nous », tantôt s’adresse à lui en le tutoyant, avec une nuance impérative – trouve sa voie vers le pays perdu, ou peut-être oublié et quand il est enfin atteint, « Rien n’est changé / sinon la couleur de l’absence ».
C’était donc cela, l’origine sans nom : non l’Eden et ses fruits toujours prêts à étancher la soif et la faim, non la plénitude, mais La transparence du mystère – titre de la seconde partie –, la porte de la Loi (Alain Suied ne définit pas celle-ci autrement que par sa majuscule), l’absence qui perdure, car elle est la vérité de l’être et change seulement de teinte dans son regard.
Le cheminement procède par étapes et reprises, en modifiant chaque fois un peu les termes de la formule afin de regarder la réalité sous tous ses aspects. Souvent ainsi le poème semble un objet que le poète tourne entre ses doigts pour accrocher toutes les lueurs du sens. Cette quête, au dernier vers du poème, peut rencontrer une clarté heureuse ou faire un constat d’impossible, comme celui-ci : « Le diapason brisé de I’origine / nul jamais / ne le recompose (…) / Les univers s’ouvrent et se ferment / dans son écho absent. » Le poème suivant ne dénient pas mais change l’angle de vue : « Tout ressent, tout transmet / l’inconnaissable et fatale / origine ».
Le lecteur est convié à prendre part à cette approche par retouches, dans une lecture lente aux richesses multiples.