
La lecture de François Lallier
Extraits de l’article sur Des yeux de nuit publié en octobre 2002 dans Bourgogne côté livres
La suite de textes publiée chez Arfuyen par Valérie-Catherine Richez forme comme un récit, un récit de voyage vers des régions extrêmes de la terre. Voyage, mais aussi action ou même danse sur le théâtre du visible, où substances, textures, couleurs construisent l’espace, où les sons mêmes sont apparition de la matière du monde et dont le protagoniste est le corps qui se découvre apparenté aux terres, aux figures lointaines qu’il a côtoyées, traversées.
Résonance d’instrument pour une musique inconnue. Y prend place tout un peuple d’êtres, en leurs langues, leur religions, leurs rites. Villageois, ascètes, jeteurs de sorts, femmes et enfants en haillons dans les boues rouges, hommes de castes ou tribus obscures, occupés de guerre ou de magie, voyageurs dans des gares, prêtres voués aux forces de l’âme dans le miroir multiple de l’image. Animaux, emblématiques mais proches. Villes, déserts, montagnes, fleuves, sables et boues, cieux brûlant de soleil ou d’étoiles changeant au gré du seul voyage, celui du « soi » qui s’éprouve en lui, ouvre les yeux dans la lumière obscure, ne se veut que ce seul regard.
Au commencement – comme un éveil –, l’ouverture de qui a « lié son sort à celui des visions », et naît ainsi, cherchant à « dissocier le dedans et le dehors », bien que porteur de toute une épaisseur de temps, d’une mémoire. Un temps qui plonge dans l’enfance, autre origine, et la garde à ses côtés (« dans ta main, la minuscule main de l’enfant en haillons posée comme une pierre précieuse ») mais indique aussi un orient, dans l’avancée du voyage, accumulation et dissipation d’instants dans le possible jusqu’au point final où se reconnaîtra un vrai savoir, sur la voie de la transparence.
Savoir de la destruction – de la déesse noire. Savoir qui fait entrer et sortir du rêve. Savoir qui « voit l’âme sans corps dans les corps ». Savoir qui renonce à la délivrance : « Vivant sans nom et sans visage, n’espère jamais aucune délivrance. Tu n’as jamais été lié. » Savoir enfin qu’il n’y a « pas d’envers, pas de puits où chuter », mais seulement au bout de la « vraie piste », « l’endroit le plus proche du monde ». […]
Parole double, celle qui raconte, mais celle aussi qui vient, dans le récit, sous forme de poèmes, dans la bouche de ceux qui en sont les acteurs et personnages, eux aussi chercheurs, écouteurs de la parole. Ainsi de la Femme qui mange sans cesse le temps (« Les gens de son village refusaient de la reconnaître, disant avoir enfanté une chose étrangère »), celle même qui prononce les mots initiatiques : « Ouvre tes yeux de nuit. » […]
Il faudrait évoquer encore la puissance de créer de l’inouï avec les données les plus simples, venues autant d’une intraitable exploration intérieure que de la fréquentation des lointains géographiques : union d’une conscience de l’irréalité de tout, parcourant les étapes chatoyantes ou terribles de l’illusion, et d’une intensité de la sensation, là où a lieu, pleinement, cette conscience – ce voyage. Il n’est pas de terre plus réelle que celle qui aura été parcourue ainsi ; pas de plus lointaine, mais aussi de plus proche, au cœur de la parole.