Sur « La Petite Chambre qui donnait sur la potence »

La lecture de Pierre Tanguy

Extraits de l’article publié le 6 décembre 2020 sur le site Recours au poème

Il fut le premier maître d’Eugène Guillevic et son initiateur à la poésie allemande, le poète alsacien Nathan Katz décédé à Mulhouse en 1981 à l’âge de 89 ans, a raconté dans son premier livre, publié en allemand alors qu’il avait 28 ans, son expérience de prisonnier de guerre en Russie et en France. Sous le titre La Petite Chambre qui donnait sur la potence, il révèle l’amour de son pays natal mais aussi son profond humanisme. Ce livre est aujourd’hui, pour la première fois, publié en français.

Le destin du jeune Nathan Katz, né en 1892 dans le Sundgau à l’extrême sud de l’Alsace, fut celui de nombreux Alsaciens nés dans une région annexée par l’Allemagne après la guerre de 1870. Quand éclate la Grande guerre, le voilà donc enrôlé sous uniforme allemand, conduit sur le front russe où il est fait prisonnier en juin 1915 et interné jusqu’en août 1916 aux camps de Sergatsch et de Nijni-Novgorod. […]

Le jeune Nathan ne se plaint pas malgré les conditions spartiates de sa captivité. Il bénit le travail qu’il accomplit. Il compatit pour un compagnon malade. Il regarde avec affection les paysans russes. Il s’émerveille devant les beautés de la campagne. « Il n’est rien de plus paisible, de plus grand que l’automne sur la lande russe ! Lorsque jaunissent les feuilles et s’embrasent les forêts comme si une seule et même mer de flammes s’était déversée par-dessus la plaine (…) Les arbres qui se dressent là, sous le ciel cristallin, ont la solennité paisible de cierges sacrés dans un sanctuaire immaculé, majestueux, que surmonte une immense coupole bleu clair ». […]

Et, surtout, bien que prisonnier, Nathan Katz sait prendre du recul et cultiver sa propre liberté intérieure (comment ne pas penser ici à la jeune Etty Hillesum au camp de Westerbork). « J’aimerais bien savoir, écrit Nathan Katz, qui pourrait  m’interdire de me sentir libre ici, dans un camp de prisonniers, entouré de hauts murs, mais où le soleil brille dans la cour » et « dans une petite chambre qui donne sur une potence mais dont les murs regorgent de lumière et de clarté chaleureuse ». Plus loin, il note : « Je ne peux m’empêcher de rire à la vue de la potence. La bonne vieille potence !… Complètement ramollie par la chaude humidité, elle est recouverte de part en part de petites gouttelettes de pluies brillantes ».

Nathan Katz est rapatrié en France en septembre 1916. Il passera seize mois au camp de prisonniers de guerre de Saint-Rambert sur Loire et travaillera à Saint-Etienne dans une usine fabriquant du matériel de guerre. « Les nappes de brouillard s’empilent sur les toits gris/Des bâtiments encrassés de la forge/s’échappent, fatigués, les sons des marteaux qui s’espacent/C’est ainsi qu’autour des usines tombe la nuit ».

La paix revenue, Nathan Katz deviendra voyageur de commerce. « Mais jamais la poésie ne l’abandonne », note Yolande Siebert dans sa note biographique sur l’auteur. Il se déplacera donc beaucoup mais lors de séjours en Alsace, on le voit fréquenter un cercle réunissant à Altkirch, des jeunes écrivains et artistes. Parmi eux, un certain Eugène Guillevic, dont le père gendarme avait été nommé en Alsace. Les deux hommes sympathiseront et échangeront en alsacien.