Sur « Fin du monde»

La lecture de Bernard Umbrecht

Extraits d’un article sur Fin du monde, de Jakob van Hoddis, paru sur le site Le Saute-Rhin le 10 novembre 2013

« Au bourgeois échappe de son crâne aigu le chapeau, / L’atmosphère bruit comme d’un cri. / Les couvreurs choient des toits et se brisent, / Et sur les côtes – à ce qu’on lit – grimpe le flot. » Ces quelques lignes qui décoiffent – n’est ce pas le cas de le dire ? – forment la première strophe du poème de Jakob van Hoddis Fin du monde. Lorsqu’il paraît en 1911 dans la revue Der Demokrat dirigé par Franz Pfemfert, il est aussitôt remarqué dans les milieux littéraires berlinois et son auteur consacré. Et il étonne aujourd’hui encore par son caractère explosif. Il n’est question que de cri, chute, orage, dislocation, côtes brisées, mers en fureur. La traduction d’Aragon en souligne la dynamique. Aragon était fier d’avoir été le premier à traduire ce texte de van Hoddis : « Figurez-vous que j’ai été le seul à traduire quelques poèmes de lui, en 1919 », déclare-t-il à Alain Bosquet.

Weltende / Fin du monde est à la fois le titre du poème déjà évoqué et celui d’un recueil poétique. L’ensemble symbolise la poésie expressionniste allemande qui n’a pas d’équivalent en France. Weltende, est aussi le titre d’un poème de Else Lasker Schüler publié en 1905 et qui commence ainsi : « Il est des larmes dans le monde / Comme si le bon dieu était mort. / Et l’ombre de plomb qui tombe / Pèse du poids du tombeau »

L’atmosphère est plombée en ce début du 20e siècle. Nombre de poèmes évoquent le « silence de Dieu » (Trakl), la fin, l’apocalypse : « Ma tombe n’est pas une pyramide, / Ma tombe est un volcan ! » (Theodor Däubler). Lionel Richard a intitulé ce chapitre de son anthologie d’expressionnistes allemands (La découverte-Maspero 1984) d’où sont tiré ces exemples : D’un monde menaçant et menacé (1900-1914). […]

Jakob van Hoddis (de son vrai nom Hans Davidsohn, dont van Hoddis est l’anagramme) est né le 16 mai 1887 à Berlin et mort probablement gazé au camp d’extermination de Sobibor en 1942. Sa vie a connu un destin tragique. Atteint de troubles psychiatriques, il ira d’asile psychiatrique en famille d’accueil et finira abandonné de tous ceux qui l’avaient aidés obligés eux-mêmes de fuir l’Allemagne nazie. André Breton le croyait mort et personne ne s’est plus soucié de lui.

J’avais croisé le nom de van Hoddis au cours d’un travail précédent, cette année, celui évoquant le monstre Ernst Wagner et son psychiatre Robert Gaupp. Lorsque les associations de handicapés avaient obtenu de la municipalité de Tübingen, en 1992, que l’on débaptise l’escalier menant à clinique psychiatrique, dans la vieille ville, du nom du psychiatre Robert Gaupp, celui-ci avait été remplacé par Jakob von Hoddis. Gaupp a été dès 1910 l’un des dirigeants de la « Société pour l’hygiène raciale ». Il a surtout pris une part active à la préparation intellectuelle de la loi sur la stérilisation des malades mentaux «  pour limiter la reproduction d’individus héréditairement tarés et pour éviter ainsi un mélange de races nuisible ». Jakob van Hoddis était patient à la clinique psychiatrique de Tübingen du temps où Gaupp y exerçait.