La lecture de Jean-Marie Corbusier

Extraits de l’article sur La Vie d’un poète, de Stefan Zweig, publié dans Le Journal des Poètes, 4e trimestre 2021.
Ce livre débute par le dernier poème écrit par Zweig : L’homme de soixante ans remercie, mettant en évidence le renoncement, la séparation, le commencement des adieux. Il s’agit de l’acceptation de vieillir, un détachement du monde en douceur, le tout finissant par un suicide. Dans Le miracle du poète, deuxième section du livre, il oppose les poètes aimés Rilke, Valéry, Verlaine, Pascoli… particulièrement leur pureté aux vicissitudes du temps présentées sous la forme d’un désordre universel. […]
Vu « les temps de folie meurtrière » se peut-il que l’art puisse encore exister comme un absolu, comme un miracle, un refuge. ? Zweig insiste aussi sur la présence physique de ces poètes, leur amitié, leurs paroles directes d’homme à homme. Les poèmes qui suivent sont à la gloire de la vie mettant le « jour au monde » où toutes choses se répondent, établissant des correspondances et ce dès l’aube qui se lance à la conquête du monde. Mais il se ravise dans le poème suivant : « dans l’obscurité qui se répand menaçante » et « la solitude ». […]
À l’évocation de Verhaeren, c’est d’abord à l’homme que Zweig s’adresse, à ses qualités humaines qui influent sur sa poésie et sa vie. Tout est décrit par touches de simples moments qui sont magnifiés où il évoque la reconnaissance à cet homme et à sa poésie de manière mesurée, sans grandiloquence. C’est surtout le cœur qui parle, une admiration profonde mais voilée, teintée de nuances et de nombreux détails de vie plus que de pensées rapportées. Dans « Musique de la fin », l’auteur évoque la reconnaissance d’une mort héroïque, voulue, un suicide préparé et organisé dans ses détails techniques. « Il a su mieux mourir que vivre. » Est-ce la recherche d’un point ultime, une consécration, un rachat de la vie par la mort ? […]
Belle remarque sur Montaigne et la liberté. Nous avons peu de libertés en tant que personne sociale. Nous pouvons établir une frontière entre nous et le monde. La vraie et la seule liberté est intérieure. Quant au monde extérieur, il faut savoir le limiter, le dominer et se libérer de ses entraves. Zweig met l’accent sur la liberté d’autrui, la tolérance et l’usage de la violence. Et d’ajouter : « Vivez votre vie! Ne me suivez pas aveuglément, vivez votre vie », nous dit Montaigne.
Suit une « Ballade sur un rêve », un cauchemar où le rêveur est encerclé par un monde hostile et finit par découvrir qu’il a la clef de cet encerclement. Tombé au plus bas du rêve, il se réveille : « Je m’étais retrouvé dans cet espace / où tout brillait clair et pur ». Le tout pour conclure : nous n’avons qu’un semblant de présence et par ce rêve, la solitude s’est vengée de nous. Le dernier poème est dédié à l’enfance, la Chère, enfance où le monde s’ouvre sans que soit trouvé l’oiseau de l’Inconnu. N’est-ce pas le retour de toute vie à son commencement, comme le poème d’ailleurs ? […]