La lecture de Mikaël Lugan

Extraits d’un article sur Ainsi parlait Saint-Pol-Roux paru dans Epistole du 3 novembre 2022
Il est un aspect sans doute méconnu de la production littéraire de Saint-Pol-Roux, poète et dramaturge, théoricien à ses heures, c’est l’œuvre du penseur. J’aurais volontiers dit du « moraliste » si le terme ne trainait pas dans son sillage quelque ambiguïté. On connaît, bien entendu, les aphorismes écrits à la fin des années 1920 et au début des années 1930, recueillis posthumément par René Rougerie dans les indispensables volumes Vendanges ou Vitesse, mais ce serait faire commencer tardivement une réflexion qui, en réalité, se développe dès la dernière décennie du siècle dix-neuvième, soit à la même époque que les théories poétiques du Magnifique. […]
Toute la pensée de Saint-Pol-Roux se place sous ce signe ascendant qu’André Breton a si merveilleusement célébré. Pensée mobile, avons-nous dit, car elle ne s’arrête pas au présent, elle interroge l’avenir, le défie : « Le jour fameux où la science aura capté l’énergie solaire – ce doit être d’une simplicité scandaleuse – nous maudirons les illustres inventeurs de lumignons et l’on ne manquera pas, je suppose, de pendre au plus haut réverbère quelque grand propriétaire de mine de charbon ou de puits de pétrole. »
La pensée de Saint-Pol-Roux se projette toujours en avant parce qu’elle se confond intimement chez lui avec l’imagination, « moisson d’avant les semailles ». C’est le grand mérite du volume, Ainsi parlait Saint-Pol-Roux, recueil de « dits et maximes de vie » choisis et présentés par Jacques Goorma, qui vient de paraître aux éditions Arfuyen, de nous révéler cette pensée dans son évolution. Empruntés à l’œuvre entière, les aphorismes sont ordonnés selon un ordre chronologique déployant la réflexion idéoréaliste sur plus d’un demi-siècle.
Il fallait un parfait connaisseur de l’œuvre de Saint-Pol-Roux pour opérer une sélection si pertinente permettant de manifester à la fois l’unité et la variété de la pensée poétique du Magnifique. Jacques Goorma, qui consacra l’une des premières thèses de doctorat à Saint-PolRoux et publia avec Alistair Whyte, à partir du milieu des années 1980, la plupart des ouvrages parus chez Rougerie, était d’autant plus désigné pour réaliser ce volume qu’il est un admirable poète et que ce sont les poètes qui ont le plus œuvré pour rendre à SaintPol-Roux la place qui lui est due dans l’histoire littéraire.
La première « pensée » que Jacques Goorma cite est tirée de la fin de Poète !, qui date de 1883 : « Le soleil soit béni ! Ma lyre va chanter. » Tout est déjà dans ce vers programmatique : la pensée comme la poésie du Magnifique ne cessera, en effet, jamais de bondir, d’aphorisme en métaphorisme, vers l’avenir et vers la plus irradiante luminosité ; et toutes les pensées qui suivent en sont le déploiement. Aussi veux-je insister sur le caractère d’inédit que cette réunion de « dits et maximes » confère au volume. C’est là, en effet, une manière toute nouvelle de découvrir le poète, ou de l’appréhender, et cet Ainsi parlait Saint-Pol-Roux constitue peut-être la meilleure des introductions à l’œuvre et à la pensée idéoréalistes.